Le bal masqué du quatrième mandat
En différant sa réponse à l’investiture par acclamation prononcée lors du congrès extraordinaire du RHDP, Alassane Ouattara installe la présidentielle d’octobre 2025 dans une zone grise savamment entretenue. Le chef de l’État, que ses partisans qualifient de « boussole de la stabilité », capitalise sur l’ambiguïté constitutionnelle pour affirmer son contrôle de l’agenda politique. À 83 ans, loin de l’image d’un retraité en sursis, il organise une mise en scène destinée à rappeler que la clef de voûte sécuritaire du pays demeure entre ses mains.
Un leadership adossé au complexe militaro-sécuritaire
Depuis la réforme de 2016, la présidence ivoirienne a consolidé un dispositif institutionnel qui lui confère la haute main sur la chaîne de commandement. Le Conseil national de sécurité, placé sous l’autorité directe du chef de l’État, orchestre la lutte contre le terrorisme et les trafics transfrontaliers. « En Côte d’Ivoire, la fonction présidentielle n’est pas seulement politique, elle est devenue l’épicentre du système de défense », confie un conseiller militaire européen en poste à Abidjan. Renoncer reviendrait à déléguer un arsenal décisionnel sans équivalent dans la sous-région.
Les Forces armées ivoiriennes entre loyauté et prudence
Les réformes de structure menées depuis 2017 ont réduit le nombre de généraux, rationalisé la logistique et accéléré la professionnalisation. Néanmoins, plusieurs cohortes d’anciens combattants de la crise post-électorale demeurent sensibles aux signaux émis par le palais. La succession d’un président qui a placardé les mutins de 2017 susciterait, selon un diplomate ouest-africain, « un réflexe de crispation au sein des bataillons encore marqués par la fragmentation des années 2010 ». Ouattara semble mesurer que son maintien, même provisoire, garantit la cohésion d’un corps resté sous tension.
Renseignement extérieur : Abidjan sous le radar des partenaires
Le Service de Renseignement Extérieur (SRE), créé en 2015, a fait de la lutte contre les cellules jihadistes infiltrées dans le triangle Burkina–Mali–Côte d’Ivoire son cheval de bataille. Les bailleurs occidentaux, notamment Paris et Washington, financent des capacités SIGINT déployées à Bouaké et à Korhogo. Un changement brusque à la tête de l’exécutif pourrait rebattre les cartes de cette coopération sensible. D’où la prudence des chancelleries, qui multiplient les consultations discrètes, de peur de voir un vide institutionnel ralentir le partage de données sur les flux d’armes circulant le long du corridor sahélien.
La coopération antiterroriste en suspens
En juin 2023, l’opération Koudanlgou 5, manœuvre conjointe avec le Ghana et le Burkina Faso, a mobilisé plus de trois mille soldats dans le nord est ivoirien. Les états-majors alliés redoutent qu’un affrontement politique interne n’érode cet élan. « Une transition précipitée à Abidjan gèlerait nos exercices conjoints et repousserait la montée en puissance du Groupement des forces spéciales », avertit un officier ghanéen. Pour la CEDEAO, la présidentielle 2025 représente donc moins un débat constitutionnel qu’un test de continuité opérationnelle face au terrorisme.
Une opposition sous surveillance judiciaire
L’exclusion de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé du fichier électoral, conséquence de condamnations pénales, a réintroduit l’outil judiciaire dans l’arsenal de contrôle sécuritaire. Les services de police judiciaire, renforcés par un nouveau Code de la sécurité intérieure adopté en 2022, disposent désormais de prérogatives élargies de surveillance électronique. Les ONG locales dépeignent un climat d’« hyper-sécurisation » des meetings, où drones et patrouilles mixtes police-gendarmerie préviennent toute réédition des violences de 2020. La frontière entre maintien de l’ordre et dissuasion politique devient, à mesure que le scrutin approche, singulièrement poreuse.
Scénarios d’instabilité et posture de la CEDEAO
L’organisation régionale, fragilisée par la succession de coups d’État au Sahel, surveille Abidjan avec une vigilance redoublée. Un rapport interne circule, identifiant trois scénarios : la réélection d’Ouattara et la poursuite de la doctrine sécuritaire actuelle ; un passage de témoin maîtrisé au sein du RHDP ; un blocage institutionnel entraînant protestations de rue et effet contagion sur les pays voisins. Dans les deux premiers cas, les exercices navals Grand-Nemo dans le golfe de Guinée se maintiendraient. Dans le troisième, la CEDEAO craint une diversion des moyens militaires, absorbés par le rétablissement de l’ordre intérieur.
L’arbitrage diplomatique de Paris et Washington
La France, partenaire historique, et les États-Unis, nouveaux premiers bailleurs bilatéraux du budget défense ivoirien, préfèrent officiellement « ne pas commenter une procédure domestique ». En aparté, un diplomate français admet que « la question de la succession d’un chef de l’État qui connaît chaque officier général par son prénom n’est pas anodine pour nos plans de coopération ». Washington, engagé dans l’Initiative ACOTA, prépare un scenario de formation accélérée d’unités paramilitaires en cas de rupture de commandement. Les deux capitales partagent une priorité : éviter que la Côte d’Ivoire ne bascule dans la zone d’incertitude stratégique ouverte par les récents putschs.
Vers un test de résilience institutionnelle
Alassane Ouattara disposera probablement, selon nombre d’observateurs, d’un boulevard constitutionnel pour briguer un nouveau mandat. Toutefois, plus que l’aspect juridique, c’est la robustesse des institutions sécuritaires qui sera jugée. À mesure que l’opposition tisse des alliances, l’armée, la police et le renseignement devront prouver qu’ils savent servir l’État plutôt qu’un homme. La Côte d’Ivoire, forte de la plus forte croissance économique d’Afrique de l’Ouest, peut-elle se permettre un marasme pré-électoral ? La réponse, uchronie ou prophétie, dépendra du moment – et de la teneur – du discours présidentiel attendu. Dans les couloirs feutrés des chancelleries, chacun retient son souffle tandis que les états-majors affûtent leurs scenarii de crise.