La fraude comme risque sécuritaire majeur
La concomitance de deux dossiers pénaux – un réseau de faux visas opérant depuis Béjaïa et un transfert illicite de devises piloté par deux entrepreneurs – souligne la mutation de la fraude en menace systémique pour l’Algérie. L’enjeu dépasse la seule dimension judiciaire : il s’agit d’une question de souveraineté, de contrôle des frontières et de préservation des réserves de change. Le ministère de la Justice, épaulé par la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN), tente ainsi de démontrer que la répression économique constitue désormais un volet indissociable de la sécurité intérieure.
Frontière juridique et frontière géographique : l’affaire de Béjaïa
Le démantèlement de la filière de faux visas, orchestrée derrière la façade anodine d’une agence de voyages, rappelle que la frontière numérique d’un passeport reste, pour les services algériens, un poste avancé de la défense territoriale. Les six années de réclusion infligées aux faussaires et les peines complémentaires – confiscation des équipements informatiques et amendes lourdes – matérialisent la volonté de tarir l’attrait d’une émigration clandestine devenue, selon un haut responsable de la police des frontières, « un exutoire que les organisations criminelles monétisent à prix d’or ». En criminalisant plus sévèrement ces pratiques, Alger cherche à reprendre la main sur ses flux humains tout en apaisant ses partenaires européens, inquiets des passages irréguliers.
Investigation numérique : nouveau levier de la police scientifique
La perquisition des téléphones portables des employées de l’agence a livré un volume considérable de conversations cryptées, relevées à l’aide de logiciels d’extraction forensique acquis récemment auprès d’un fournisseur européen. Ces outils, déployés dans le cadre du plan national de modernisation de la police scientifique, complètent la montée en puissance du laboratoire central de la DGSN. L’exploitation rapide des données a offert aux enquêteurs la preuve irréfutable de la structuration transnationale du réseau, qui proposait des visas falsifiés pour la France, l’Espagne et le Canada. La célérité technologique devient ainsi condition essentielle pour que le juge anticipe les manœuvres de destruction de preuves, fréquentes dans ce type de délits à haute valeur ajoutée.
Transferts illicites : un défi direct à la souveraineté financière
Le second dossier lie fraude documentaire et évasion de capitaux. Les frères Saïd et Hamid W.M., à travers leur société de formation professionnelle, ont maquillé des contrats inexistants afin de justifier des paiements internationaux soustraits au contrôle de la Banque d’Algérie. Le parquet a requis quinze années de réclusion et huit millions de dinars d’amende, assortis d’une demande de détention immédiate pour prévenir toute exfiltration. En se constituant partie civile, le Trésor réclame cinq cents milliards de dinars, chiffre révélateur de la crainte institutionnelle : l’assèchement progressif des réserves de change fragilise la capacité du pays à financer son outil de défense et ses politiques sociales.
Cadre légal renforcé, exécution encore perfectible
Depuis l’affaire Khalifa il y a deux décennies, l’Algérie étoffe son arsenal législatif : loi sur la prévention contre le blanchiment (2010), création de la Cellule de traitement du renseignement financier, et davantage de magistrats spécialisés. Pourtant, plusieurs failles persistent. Des juges déplorent, sous couvert d’anonymat, la lenteur des coopérations bancaires internationales et le manque de correspondants judiciaires dans certains États tiers. Pour contenir l’hémorragie financière, la présidence projette d’introduire des clauses extraterritoriales dans les contrats publics, inspirées des dispositifs FCPA américains, qui permettraient de poursuivre les bénéficiaires finaux hors d’Algérie.
Partenariats policiers et diplomatie économique en toile de fond
Alger mise aussi sur la diplomatie bilatérale pour consolider sa riposte. Des négociations sont en cours avec Madrid et Paris afin d’intégrer un module antifraude dans les programmes conjoints de formation des gardes-frontières. Côté financier, la Banque d’Algérie a sollicité le réseau Egmont pour mieux tracer les virements suspects en provenance d’institutions étrangères. « Nos capacités d’investigation progressent, mais la coopération est la clé », confie un haut fonctionnaire du ministère des Finances. Cette approche intersectorielle, mêlant justice, police et diplomatie, traduit une doctrine de sécurité intérieure élargie au champ économique.
Vers une culture de conformité : impératif stratégique
En sanctionnant sévèrement les faussaires et les fraudeurs, l’État algérien espère envoyer un signal à la fois interne et externe : la prévisibilité du cadre juridique redevient négociable. Pour les diplomates européens, l’évolution offre une plateforme de dialogue sécuritaire plus crédible. Pour les investisseurs potentiels, elle constitue un indicateur de transparence, condition sine qua non à un afflux de capitaux productifs. Reste à savoir si la fermeté judiciaire s’accompagnera d’une capacité administrative durable, capable de réduire l’opacité qui nourrit ces réseaux. La réponse à cette interrogation définira, à moyen terme, la solidité de la souveraineté économique du pays.