Au Congo, « Apprendre » arme les cerveaux : la nouvelle ligne logistique de défense

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Capital humain et résilience stratégique congolaise

Sous les lambris du ministère de l’Éducation nationale à Brazzaville, la semaine dernière, les stratèges congolais et leurs partenaires étrangers ont adopté un ton martial : « Former, c’est sécuriser », insiste un haut fonctionnaire de la présidence. Si le programme « Apprendre » cible à première vue la salle de classe, il répond en réalité à un impératif de résilience nationale. Dans un pays où près de 60 % de la population a moins de trente ans, l’élévation du niveau scolaire est perçue comme un verrou de stabilité sociale, donc de sécurité intérieure. Dans le huis clos des réunions interministérielles, les conseillers défense évoquent ouvertement la prévention des recrutements par les groupes armés de la région du Pool et la consolidation du bassin de main-d’œuvre qualifiée pour les industries de souveraineté.

Professionnalisation des enseignants communautaires, un impératif sécuritaire

Le déficit chronique d’instituteurs titulaires pousse depuis des années les villages de l’arrière-pays à s’appuyer sur des volontaires sans formation pédagogique. L’armée observe de près ce phénomène : « Une classe mal encadrée peut devenir une zone grise où prospère la radicalisation », confie un officier du commandement territorial de Dolisie. La phase III du programme prévoit 1 200 modules d’ingénierie pédagogique et un tutorat à distance qui devraient métamorphoser ces enseignants dits communautaires en véritables acteurs de cohésion. La Banque mondiale, l’Agence française de développement et l’UNESCO mettent ensemble 14 millions de dollars sur la table pour ce maillon souvent négligé mais jugé crucial dans la doctrine congolaise de sécurité humaine.

« Apprendre » phase III : gouvernance partagée et financements internationaux

Le comité de pilotage, coprésidé par le ministre de l’Éducation et le conseiller spécial du chef de l’État en charge de la défense, illustre la transversalité assumée du dispositif. Les partenaires techniques – France, Canada, Maroc – apportent un savoir-faire de formation d’adultes et un appui logistique en e-learning. Une salle serveur sécurisée, installée dans l’enceinte de l’École supérieure de guerre, hébergera les plateformes de contenus pour éviter toute interruption liée aux fluctuations du réseau civil. Cette architecture hybride répond aux inquiétudes exprimées par le Service national de sécurité des systèmes d’information, soucieux de garantir la confidentialité des données collectées sur le terrain.

Du tableau noir à la paix sociale : la doctrine de prévention des crises

Dans les think tanks de Brazzaville, l’idée progresse que la paix se forge moins dans les casernes que dans les écoles primaires. Les émeutes urbaines de 2022, déclenchées par la hausse des prix des denrées, ont montré le rôle des jeunes diplômés sous-employés dans la contestation. « Une instruction de qualité ouvre la porte à des débouchés licites et réduit la tentation de l’illégalité », rappelle la sociologue Françoise Nguimbi. Le plan de travail annuel qui sortira du conclave devra donc articuler le renforcement des compétences fondamentales avec des passerelles vers la formation professionnelle, notamment dans les secteurs porteurs de la stratégie de défense économique : télécommunications, maintenance énergétique et construction navale fluviale.

Ligne d’horizon 2030 : vers une éducation duale civilo-militaire ?

Sans le proclamer, Brazzaville explore déjà le modèle dual cher à plusieurs puissances asiatiques, où l’école sert aussi de vivier pour les forces armées et les industries stratégiques. Un projet pilote d’instruction aux bases numériques, développé avec le commandement cyber congolais, doit équiper 5 000 collégiens en outils de programmation dès la rentrée prochaine. L’objectif est double : préparer une génération apte à soutenir les efforts de cyberdéfense et créer un récit national tourné vers l’innovation. « Le Congo doit apprendre à se défendre avec des idées avant de lever le fusil », plaide un conseiller du ministre de la Sécurité. À court terme, les autorités espèrent transformer cet investissement éducatif en bouclier social. À plus long terme, il s’agit de bâtir la masse critique nécessaire à une stratégie d’autonomie dans les domaines sensibles, de la maintenance aéronautique aux solutions cryptées souveraines.

Retombées diplomatiques et influence régionale

Au-delà des frontières, le programme conforte l’image d’un Congo catalyseur de bonnes pratiques éducatives en Afrique centrale. Les huit pays bénéficiaires mutualisent leurs contenus et leurs retours d’expérience ; Brazzaville ambitionne de prendre le leadership du réseau en s’appuyant sur son Centre d’excellence régional pour la formation des maîtres. « La diplomatie du tableau noir peut valoir autant qu’un contingent de casques bleus », souligne un diplomate français. En misant sur l’éducation, le Congo se dote d’un outil de soft power capable d’attirer des partenariats, de sécuriser ses marges frontalières et de prévenir les externalités négatives – trafics, migrations forcées – qui alimentent l’insécurité sur l’ensemble du bassin du Congo.

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