Un tournant énergétique à forte portée stratégique
Dans le pavillon feutré du Forum économique international de Saint-Pétersbourg, la poignée de main entre le ministre burkinabè de l’Énergie, Yacouba Zabré Gouba, et le directeur général de Rosatom, Aleksey Likhachev, a résonné comme une proclamation : à l’heure où la bande sahélienne subit les soubresauts de la crise sécuritaire, Ouagadougou mise sur la fission nucléaire pour consolider son propre arc de stabilité. L’accord intergouvernemental, présenté comme « historique » par les deux parties, ouvre la voie à l’implantation de la toute première centrale d’Afrique de l’Ouest francophone. Il s’agit moins d’une lubie technophile que d’un instrument de souveraineté, appelé à remplacer les groupes électrogènes thermiques qui plombent la balance commerciale du pays.
Pour le capitaine Ibrahim Traoré, chef de l’État de transition, « l’indépendance énergétique est une donnée de sécurité nationale ». Derrière la formule, une réalité militaire : la lutte contre les groupes insurgés exige un réseau électrique robuste capable d’alimenter les casernes, les centres de commandement et le maillage de vidéosurveillance que le gouvernement souhaite déployer dans les zones rouges.
L’offre russe et ses implications sécuritaires
Rosatom ne fournit pas qu’un réacteur ; le conglomérat russe commercialise un écosystème complet, du combustible à la formation des gendarmes chargés de la protection périmétrique. La proposition technique, attendue dans les prochains mois, comprendra un protocole de sûreté nucléaire articulé autour d’équipes mixtes burkinabo-russes. À Moscou, un diplomate impliqué dans le dossier confie que « la dimension sécuritaire fait partie du paquet ». En filigrane, la Russie consolide ainsi une présence paramilitaire déjà perceptible au Mali voisin, étendant ses ramifications logistiques à un État en quête d’alliés capables de contourner les conditionnalités occidentales.
Le dispositif anti-intrusion, la surveillance aérienne du site et la gestion de crise en cas d’incident radiologique placeront la future centrale sous haute protection, mobilisant sans doute une composante des forces spéciales burkinabè. Pour les responsables du renseignement intérieur, la perspective d’une cible critique impose un saut qualitatif, tant en matière de cyberdéfense que de contre-terrorisme physique.
Un calcul diplomatique au Sahel
En misant sur l’atome russe, Ouagadougou s’émancipe partiellement des bailleurs traditionnels que sont l’Union européenne et la Banque mondiale, souvent réticents à financer le nucléaire post-Fukushima. L’alignement avec Moscou s’inscrit dans une recomposition plus large : la France réduit son empreinte militaire, tandis que les États-Unis réévaluent leurs priorités. Le Burkina Faso, à l’instar du Niger ou du Soudan, table sur une concurrence de puissances pour accroître sa marge de manœuvre.
D’un point de vue géopolitique, la centrale agit comme un aimant à capitaux connexes ; elle suppose la rénovation du réseau ferroviaire pour acheminer les colis combustibles, la sécurisation portuaire d’Abidjan pour l’import-export et, surtout, la mise en place d’accords de transit avec la Côte d’Ivoire et le Ghana. Autant de dossiers qui contraignent Ouagadougou à renouer un dialogue diplomatique dense avec ses voisins, malgré les crispations régionales liées aux putschs successifs.
Des défis techniques et sécuritaires exigeants
L’ingénierie d’un réacteur de génération III+ revêt une complexité rarement confrontée à la rudesse climatique du Sahel. Gestion de l’eau de refroidissement, protection contre le sable et les variations thermiques, logistique du combustible neuf comme du combustible usé : chaque paramètre devient une inconnue stratégique. Au sein de l’Autorité nationale de radioprotection, des voix s’élèvent déjà pour réclamer un renforcement massif des effectifs d’inspecteurs et la signature d’accords de coopération avec l’Agence internationale de l’énergie atomique. À défaut, la dépendance technique vis-à-vis de Rosatom pourrait se muer en dépendance politique.
Le financement, estimé à plusieurs milliards de dollars, sollicitera vraisemblablement un schéma clé en main russe de type BOO (Build-Own-Operate). Une telle solution répartit les risques mais laisse à l’opérateur russe le contrôle de l’exploitation sur plusieurs décennies. Dans les rangs de l’opposition burkinabè, certains y voient une concession de souveraineté à très long terme, comparable à une base militaire énergétique.
Perspectives pour l’armée et la protection civile
Une centrale nucléaire ne peut fonctionner sans un écosystème de sécurité intégrée : forces terrestres capables d’interdire l’accès à un rayon de plusieurs kilomètres, gendarmerie spécialisée dans la lutte NRBC et services de renseignement aptes à détecter les menaces hybrides. Le ministère de la Défense devra donc revoir la cartographie des priorités budgétaires, injectant des ressources dans le maintien en condition opérationnelle des drones de surveillance et dans la construction d’unités de détection radiologique mobiles. Un conseiller technique proche de l’état-major considère que « l’atome impose de penser la défense au prisme de la dissuasion non militaire ».
Sur le plan civil, l’arrivée d’une source stable de 1 000 MW pourrait dynamiser l’industrialisation, en particulier les usines d’armement léger que le gouvernement envisage de relocaliser. Elle fournirait aussi de l’électricité aux postes de commande régionaux du G-5 Sahel, renforçant la résilience des réseaux de communication sécurisés. Reste la question cruciale de la confiance des populations, échaudées par le précédent minier de Tambao. Ici, le discours gouvernemental devra articuler pédagogie scientifique et transparence sécuritaire pour éviter que la centrale ne devienne un nouvel épicentre de contestation.
Vers une souveraineté énergétique sous haute surveillance
En signant avec la Russie, le Burkina Faso s’engage sur un itinéraire hautement technologique qui le propulse au rang des puissances régionales dotées de l’atome civil. Cependant, l’équation ne se limite pas aux mégawatts injectés sur le réseau ; elle englobe la sécurité physique du site, la sûreté nucléaire, la gestion des déchets et l’équilibre diplomatique d’un Sahel sous l’œil de multiples puissances. Si l’ambition est à la hauteur des enjeux, la mise en œuvre exigera une discipline institutionnelle inédite dans un pays encore fragilisé par l’insécurité intérieure.
Le pari nucléaire est donc double : produire l’énergie nécessaire à la modernisation et projeter une image de puissance maîtrisant une technologie de pointe. À court terme, l’accord renforce la main de Moscou sur le continent. À long terme, il testera la capacité du Burkina Faso à transformer une dépendance technique en levier de souveraineté. La réussite, comme l’échec, aura valeur de précédent pour toute l’Afrique de l’Ouest.