Banquiers, ports et parcs : les nouveaux stratèges insoupçonnés de la sécurité africaine

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Trois financiers, un même filigrane sécuritaire

Les nominations successives de Sechaba Thole à la South African National Parks Corporation, de Patrick Mbelle à la tête d’un conglomérat kényan dédié à l’économie bleue et de Meinna Gwet comme directrice des financements structurés d’Ecobank à Douala illustrent une tendance continentale : la sécurité physique et la stabilité financière ne sont plus dissociables. Qu’ils opèrent dans un parc naturel, un port de l’océan Indien ou une salle des marchés, ces technocrates du capital portent désormais les préoccupations stratégiques de leurs États. À mesure que les budgets de défense se contractualisent et que la diplomatie régionale s’adosse à des leviers économiques, leur marge de manœuvre s’apparente à un nouvel arsenal.

Afrique du Sud : la lutte anti-braconnage sous le joug de la rigueur budgétaire

Ingénieur financier formé à Pretoria, Sechaba Thole hérite d’une SANPC contrainte par la raréfaction des dotations publiques. Chaque rand alloué au parc Kruger, principal théâtre de la guerre contre les réseaux criminels de cornes de rhinocéros, doit désormais prouver sa rentabilité sécuritaire. Thole a d’ores et déjà gelé certains contrats de maintenance au profit d’un renforcement du renseignement numérique, notamment l’acquisition de capteurs thermiques et de drones VTOL, programme chiffré à 210 millions de rands. À huis clos, des officiers du South African National Defence Force saluent ce « parachèvement logistique » qui désengorge leurs unités spéciales, jusqu’ici déployées en appui des rangers. L’équation est claire : en rationalisant la chaîne de dépense, Thole garantit à la Présidence une préservation du capital faunique, actif géopolitique essentiel pour la diplomatie verte de l’Afrique du Sud.

Kenya : finances bleues et souveraineté maritime

L’ex-consultant Patrick Mbelle a été intronisé comme figure de proue de la ‘Kenya Blue Economy Initiative’, structure hybride, mi-publique mi-privée, chargée de mobiliser 5 milliards de dollars sur dix ans. Sa mission dépasse la promotion portuaire : elle vise la sécurisation des couloirs énergétiques de Lamu à Mombasa, hautement exposés aux incursions d’Al-Shabaab. Mbelle pilote la création d’un fonds de garantie pour moderniser la flotte côtière et financer des patrouilleurs rapides, dont trois unités seront livrées par un chantier naval turc au premier semestre 2025. Selon une note interne du Trésor, l’adossement à des obligations souveraines vertes a convaincu la Banque africaine de développement, prouvant l’habileté du financier à déplacer le curseur sécuritaire vers la diplomatie des bailleurs.

Cameroun : les prêts structurés d’Ecobank, bouclier discret contre la volatilité régionale

Meinna Gwet, jeune polytechnicienne passée par Abidjan et Londres, orchestre désormais les montages de dette d’Ecobank pour les infrastructures stratégiques camerounaises. En ayant finalisé un crédit syndiqué de 350 millions de dollars pour la réhabilitation de la nationale 1, axe logistique reliant le port de Douala à la frontière tchadienne, elle répond indirectement aux impératifs opérationnels du Bataillon d’Intervention Rapide déployé dans le Nord-Ouest. « Sans corridors fiables, aucune force ne peut garantir la stabilité », rappelle un conseiller du ministère de la Défense. Gwet intègre des clauses de résilience climatique et sécuritaire, obligeant l’État à maintenir un niveau minimal d’escortes routières. Le partenariat inaugure un schéma où la banque devient codépositaire des standards de sûreté, créant un précédent pour les futures émissions obligataires de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale.

Vers une doctrine africaine du financement sécurisé

En croisant les trajectoires de Thole, Mbelle et Gwet, un modèle embryonnaire se dégage : l’adossement systématique de la dépense sécuritaire à des actifs économiques pérennes. Les diplomates y voient la possibilité d’un narratif moins militarisé et plus acceptable pour les bailleurs occidentaux, tandis que les états-majors apprécient la prévisibilité budgétaire obtenue. Toutefois, la transparence demeure le talon d’Achille de ces montages ; l’absence de contrôle parlementaire robuste pourrait fragiliser la légitimité de cette nouvelle architecture. Reste que, sur un continent où l’influence se mesure aussi à la capacité de faire converger investisseurs et forces armées, les trois financiers ouvrent une brèche : celle d’une sécurité codirigée par les gestionnaires de capitaux.

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