Centrafrique : 500 fusils en moins, et le casse-tête sécuritaire reste entier

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Un désarmement symbolique à haute valeur stratégique

Le dépôt d’armes orchestré à Bambari par 541 éléments de l’Union pour la paix en Centrafrique (UPC) n’a rien d’un simple fait divers local. Dans un pays où la densité des forces étatiques demeure inférieure à un militaire pour 1 000 habitants, chaque fusil rendu à l’autorité républicaine porte une charge hautement politique. Le président Faustin-Archange Touadéra, soucieux de démontrer une restauration graduelle du monopole étatique de la violence légitime, n’a pas hésité à qualifier l’événement « d’acte de patriotisme ».

La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique (Minusca) salue également la démarche, tout en rappelant que près de 3 000 combattants affiliés à différentes factions de l’ex-Séléka demeurent encore dans la brousse. Dans les couloirs de l’ambassade d’un pays européen à Bangui, un diplomate confie qu’« un tel geste ne devient irréversible que lorsqu’il est suivi d’un mécanisme crédible de réinsertion économique ». Autrement dit, la prouesse tactique doit se doubler d’une politique sociale robuste, sous peine de voir ces mêmes armes réapparaître sur un autre théâtre.

UPC : anatomie d’une milice en recomposition

Créée en 2014 par le chef rebelle Ali Darassa, l’UPC tire traditionnellement ses ressources de l’axe routier Bambari-Alindao, couplé à un système soutenu de taxation informelle sur le bétail. Sous pression combinée de la Minusca, de détachements des forces armées centrafricaines (FACA) récemment formés à Bria et du contingent russe de sécurité privée, le groupe se trouve stratégiquement asphyxié. « Le flux logistique s’est tari, rendant la poursuite de la lutte moins rentable », note un chercheur de l’Institut d’études de sécurité basé à Dakar.

Pour autant, ces départs massifs ne signifient pas automatiquement la disparition de la structure de commandement. Plusieurs cadres militaires, demeurés en territoire périphérique, spéculent déjà sur une mutation dans l’orpaillage informel. L’enjeu pour Bangui est donc d’empêcher que la réinsertion ne se transforme en simple changement de business model pour des acteurs toujours armés d’une forte capacité de nuisance.

Les chaînons manquants d’une réinsertion crédible

Le Programme national de désarmement, démobilisation, réintégration et rapatriement (DDRR) manque encore de financement pérenne. Sur les 45 millions de dollars promis par les partenaires internationaux lors de la table ronde de Bruxelles en 2021, moins de la moitié a été effectivement décaissée. La formation professionnelle, censée absorber le flot des ex-combattants, demeure embryonnaire : seuls 18 centres de formation ont ouvert, pour une capacité théorique de 2 400 stagiaires par an.

Le général Jean-Claude Yadocka, coordinateur du DDRR, admet que « l’appétit sécuritaire reste supérieur aux moyens budgétaires ». Faute d’alternatives économiques viables, nombre d’ex-rebelles risquent de basculer vers la criminalité transfrontalière ou de s’enrôler au sein des compagnies de sécurité privées étrangères en quête de recrues parlant le sango.

Pression humanitaire et continuum sécuritaire

Les combats sporadiques à Besson, dans la préfecture de Nana-Mambéré, ont déplacé plus de 12 000 civils en quinze jours, selon le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU. Cette mobilité forcée entretient un climat de vulnérabilité extrême : les camps de fortune se superposent à des zones d’opération militaire, brouillant la ligne de démarcation entre assistance humanitaire et action sécuritaire.

Le ministre de la Communication Maxime Balalou insiste sur la « tolérance républicaine » à l’égard des ex-combattants, redoutant un réflexe de rejet de la part des communautés meurtries. Or, l’histoire récente montre que la stigmatisation peut nourrir la clandestinité armée. À défaut d’un accompagnement social soutenu, chaque flambée humanitaire redevient une antenne de recrutement pour les groupes résiduels.

Partenaires extérieurs : entre générosité affichée et prudence budgétaire

Les donateurs occidentaux demeurent divisés sur la méthode. Paris, qui a suspendu sa coopération militaire bilatérale en 2021, privilégie désormais un canal multilatéral via la Banque mondiale, tandis que Washington conditionne toute aide supplémentaire au respect strict de l’embargo onusien sur les armes. De leur côté, Moscou et Kigali avancent une approche sécuritaire plus directe, en misant sur la formation opérationnelle des FACA et la fourniture d’équipements.

Cette pluralité d’architectures d’assistance fragilise la lisibilité du dispositif. Un analyste onusien résume la situation : « Tant que la Centrafrique restera un terrain de concurrence de partenaires, le financement du DDRR ressemblera à une couverture trop courte ». Dans ce contexte, la coordination inter-bailleurs devient un impératif stratégique pour empêcher des chevauchements coûteux et garantir une chaîne de soutien stable aux ex-combattants.

Vers un contrat social sécurisé ou un simple répit ?

Le gouvernement de Bangui mise sur l’effet d’entraînement : si le désarmement de l’UPC se consolide, d’autres factions, notamment le Mouvement patriotique pour la Centrafrique (MPC), pourraient emboîter le pas. Mais la réussite finale dépendra de la capacité des institutions à convertir la cessation des hostilités en dividendes socio-économiques tangibles pour la population.

Faute d’une telle transformation, la Centrafrique risque de connaître ce que les stratèges appellent un « cessez-le-feu circulaire », succession de trêves ponctuelles jamais converties en paix structurelle. Les 500 fusils remis cette semaine constituent donc moins un aboutissement qu’un test grandeur nature pour le leadership politique centrafricain et pour la patience, déjà mise à rude épreuve, de ses partenaires.

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