Brazzaville face au défi d’exister sur la carte sécuritaire africaine
Coincée entre la RDC surchauffée, la Centrafrique militarisée par Wagner et le Gabon fragile, la République du Congo semble jouer, vue de Paris, un rôle périphérique. Pourtant, le président Denis Sassou-Nguesso, à la tête de l’État depuis près de quatre décennies – parenthèse démocratique incluse – a patiemment façonné une doctrine : faire de la stabilité intérieure l’argument majeur de sa légitimité extérieure. « Notre valeur ajoutée est d’être un îlot de prévisibilité », glisse un diplomate congolais. Cette narration sécuritaire irrigue aujourd’hui les négociations économiques, en premier lieu celles portant sur l’or noir qui assure plus de 60 % des recettes publiques.
Une force armée ramassée, centrée sur la garde du régime
Officiellement, les Forces armées congolaises alignent environ 10 000 militaires, un effectif modeste à l’échelle d’un territoire de 342 000 km². Le cœur opérationnel réside dans la Garde républicaine, forte de 3 500 hommes et directement commandée par le général Jean-Dominique Okemba, neveu du chef de l’État. Dotée de blindés légers chinois et de drones tactiques israéliens, cette composante concentre l’entraînement et le budget – estimé par l’Institut international d’études stratégiques à 1,2 % du PIB en 2023. L’armée de terre classique se voit assigner des missions surtout statiques : surveillance des frontières forestières et sécurisation des sites pétroliers onshore, en appui aux sociétés privées.
Paris en retrait, Moscou et Pékin en avance rapide
Brazzaville fut longtemps une escale indispensable de la coopération militaire française. Depuis 2020, les rotations d’instructeurs de l’opération Corymbe se sont espacées, reflet de la volonté française de concentrer ses moyens sur le Sahel. Dans ce vide relatif, la Russie a flairé l’opportunité : l’accord de défense signé en mai 2022 prévoit la formation de cadres congolais à Riazan et l’entretien, à coût préférentiel, des hélicoptères Mi-24 hérités des années soviétiques. Pékin, de son côté, équipe depuis 2018 la base navale de Pointe-Noire d’un système de radars côtiers visant à sécuriser le couloir maritime qui mène aux terminaux pétroliers opérés par la China National Offshore Oil Corporation. « Le Congo teste un système d’équilibrisme qui rappelle celui de l’Angola », observe Niagalé Bagayoko, présidente de l’African Security Sector Network.
Le golfe de Guinée, artère pétrolière et théâtre de piraterie
Si les statistiques de l’Organisation maritime internationale montrent une légère baisse des actes de piraterie depuis 2021, le golfe de Guinée concentre encore le double du risque observé au large de la Somalie. Pour un pays dont 85 % des barils s’écoulent par voie maritime, chaque attaque fait trembler les revenus fiscaux. Les patrouilleurs P400 fournis par la France dans les années 1990 sont en fin de vie ; leur remplacement par deux OPV de 1 200 t construits à Wuhan est attendu fin 2024. Cette modernisation navale s’accompagne d’un ambitieux centre de fusion de l’information maritime à Pointe-Noire, financé par l’Union européenne, qui doit agréger les données AIS, les images satellitaires Copernicus et les rapports des compagnies pétrolières.
Derrière le jargon technique, l’enjeu est diplomatique : convaincre les voisins que le Congo peut coordonner une réponse multinationale aux actes illicites sans se faire l’arbitre de la manne pétrolière régionale. Libreville, fraîchement sortie d’un putsch, y voit surtout une tentative d’hégémonie. Brazzaville promet la transparence, mais maintient la direction du centre sous uniforme congolais.
Entre modernisation et dépendance : quel futur pour la doctrine congolaise ?
Le projet de loi de programmation militaire 2024-2028, débattu à l’Assemblée nationale, prévoit une hausse budgétaire limitée à 0,2 % du PIB par an, insuffisante selon les officiers pour entretenir simultanément l’armée de terre et la flotte côtière. Sous pression de la jeunesse urbaine, le gouvernement cherche à redéployer une partie des crédits vers la sécurité intérieure – notamment la lutte contre la criminalité issue de l’orpaillage clandestin dans la Sangha. Le risque, soulignent plusieurs analystes, serait de maintenir durablement une architecture sécuritaire où la garde présidentielle absorbe la majorité des ressources, reproduisant le schéma de dépendance d’État patrimonial.
À court terme, Brazzaville continuera de jouer la carte de la diversification des partenaires, dans l’espoir de tirer le meilleur prix technique et politique de chaque fournisseur. À plus long terme, la viabilité de cette posture reposera sur la capacité du pays à articuler défense, gouvernance et transition énergétique. Autant de chantiers qui dépasseront l’horizon du mandat actuel, mais auxquels l’actuel establishment militaire semble prêter, pour la première fois, une oreille attentive.