Genèse d’un outil de gouvernance concerté
Le 24 juin 2024, dans les salons feutrés du ministère du Contrôle d’État à Brazzaville, la représentante du Programme des Nations unies pour le développement, Adama-Dian Barry, a remis au ministre Gilbert Mokoki le document final du Cadre d’action intégré de la gouvernance publique. L’événement, aussitôt relayé par l’Agence d’information d’Afrique centrale (24/06/2024), clôt quinze mois de consultations techniques associant Administration, société civile et partenaires internationaux. L’ambition affichée est de doter la République du Congo d’une boussole opérationnelle capable de refonder le lien, souvent distendu, entre institutions et administrés.
L’administration congolaise face au défi de la redevabilité
Dans la présentation remise à la presse, le ministère souligne que la première finalité du Cadre est de « rendre performante l’action de contrôle interne ». Concrètement, il s’agit de normaliser les audits des dépenses publiques, d’harmoniser les indicateurs de performance des services et de publier les résultats sur un portail unique. Selon le dernier rapport de la Banque mondiale sur la gouvernance (mai 2024), la République du Congo occupe la 161ᵉ place sur 180 au classement des perceptions de la corruption, un indicateur que le gouvernement juge « moteur de défiance sociale ». Les autorités espèrent combler ce fossé en institutionnalisant la traçabilité budgétaire et en contraignant chaque ministère à un reporting trimestriel.
Le pari de la transparence numérique
Le dispositif entend également exploiter les outils numériques pour rapprocher l’État des citoyens. D’après le communiqué conjoint PNUD-gouvernement diffusé le 25 juin 2024, un « guichet digital de doléances » sera testé dès septembre auprès de trois préfectures pilotes. Inspiré du portail sénégalais SunuCV, l’outil permettra aux usagers de noter la qualité d’un service et de suivre en temps réel l’instruction de leurs réclamations. Le secrétariat d’État à l’Économie numérique, récemment doté d’un fonds d’innovation de cinq milliards de francs CFA (Décret présidentiel du 6 juin 2024), devra fournir l’infrastructure et la cybersécurité indispensables à cette démarche.
Une coopération multilatérale sous surveillance
Le concours onusien s’inscrit dans la droite ligne du Cadre de coopération des Nations unies pour le développement durable 2024-2028, signé à New York le 29 janvier dernier. Le PNUD engage 11 millions de dollars sur la seule composante gouvernance pour les deux prochaines années, auxquels s’ajoutent des appuis ciblés de l’Union européenne et de l’Agence française de développement. Selon le service de communication du PNUD Congo, une mission d’évaluation indépendante sera dépêchée tous les six mois afin de mesurer l’effectivité des réformes. « Nous ne pouvons plus nous contenter d’incantations », a insisté Adama-Dian Barry devant la presse (ADIAC, 24/06/2024), rappelant que plusieurs feuilles de route antérieures étaient restées lettre morte faute de suivi.
Entre volontarisme politique et scepticisme citoyen
Sur les réseaux sociaux congolais, les réactions oscillent entre prudence et incrédulité. L’ONG Publiez ce que vous payez, dans une note publiée le 27 juin 2024, salue la « volonté d’institutionnaliser l’évaluation citoyenne », mais redoute que le dispositif ne se limite à « des vitrines technologiques » sans valeur contraignante. Le ministre Mokoki se veut rassurant : « Nous allons sanctionner les abus, y compris dans nos propres rangs ». Pour crédibiliser la promesse, un décret d’application attendu avant fin juillet définira le barème des sanctions administratives, allant de la suspension temporaire à la révocation. C’est sur ce terrain, celui de l’exemplarité, que se jouera la réussite du Cadre, notent les analystes de l’Institut de recherches et d’études stratégiques du Congo dans leur briefing du 1ᵉʳ juillet 2024.
Quel horizon pour le nouveau contrat social ?
À court terme, l’enjeu est de convaincre une opinion lassée par les promesses de réforme. Dans son baromètre d’humeur sociale de juin 2024, l’institut Sphinx-Afrique relève que 68 % des Congolais doutent de « la volonté réelle de l’État de sanctionner ses propres agents ». L’exécutif mise sur une première série de contrôles ciblés, prévue dès le troisième trimestre, pour envoyer un signal tangible. À moyen terme, l’intégration des données budgétaires, des audits et des retours citoyens dans un tableau de bord public pourrait transformer la culture administrative, si tant est que l’accès aux informations ne subisse pas de restriction. Le PNUD rappelle que l’expérience rwandaise, souvent citée en exemple, a mis sept ans pour produire des indicateurs tangibles. Au Congo, la fenêtre de crédibilité sera, à l’inverse, étroite : dix-huit mois, juge un diplomate onusien sous couvert d’anonymat.