Dabaiba courtise Bakou : les drones azéris, joker tactique des ruelles de Tripoli

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Misrata ouvre un canal direct avec le ministère de la Défense azéri

Depuis la fin de l’automne, plusieurs officiers de la force conjointe stationnée à Misrata se sont succédé dans les salons feutrés du ministère de la Défense d’Azerbaïdjan. Officiellement, il s’agissait d’échanges de « coopération technico-militaire ». En réalité, selon deux diplomates européens en poste à Tunis, la délégation libyenne a demandé la livraison rapide de drones offensifs capables d’opérer dans le huis clos urbain de Tripoli. L’initiative porte l’empreinte personnelle du Premier ministre Abdelhamid Dabaiba, qui cherche à lier un fournisseur encore peu exposé au chaos libyen, afin de réduire sa dépendance vis-à-vis de la Turquie.

Le marché du drone azéri, un atout pour les futures opérations intra-tripolitaines

Les conseillers militaires de Dabaiba estiment que les engagements menés contre les brigades rivales de Souq al-Jumaa ou d’Abou Salim requièrent des vecteurs légers, discrets et dotés de charges de précision. L’Azerbaïdjan, fort du retour d’expérience du Haut-Karabakh, compose un catalogue de munitions rôdeuses et de quadricoptères armés qui répondent à cette grille tactique. « Bakou propose une offre intermédiaire entre le Bayraktar turc et les drones d’atelier iraniens, avec des coûts maîtrisés et un service après-vente militaire dérisqué », remarque un consultant italien associé à l’ONU. La force conjointe libyenne table sur un premier lot d’une vingtaine d’aéronefs, susceptibles d’être pilotés depuis des hangars dispersés le long de la côte misratie.

Bakou, nouvel aventurier de la diplomatie d’armement

L’Azerbaïdjan, longtemps client, se veut désormais fournisseur et mise sur la Libye pour asseoir sa stature. Selon un conseiller du président Ilham Aliev, « l’ouverture à la Méditerranée élargira notre profondeur stratégique et offrira un débouché aux industriels issus du complexe militaro-industriel de Bakou ». L’opération est également une vitrine : vendre des drones éprouvés sur le terrain renforce la crédibilité d’un pays qui cherche à sortir de son rôle de simple pump-station du Caucase. Dans les couloirs de l’assemblée nationale azerbaïdjanaise, on détaille déjà les retombées attendues sur la tournée commerciale prévue à Riyad et à Islamabad.

Le jeu d’équilibre subtil de Dabaiba face à Ankara et Moscou

Le chef du Gouvernement d’union nationale avance toutefois sur une ligne de crête. Les officiels turcs, qui ont fourni des TB2 à Misrata dès 2020, redoutent de perdre un marché clé et rappellent à huis clos les clauses d’exclusivité non écrites. De son côté, le Kremlin surveille l’arrivée d’un acteur caucasien susceptible de compliquer la partition négociée entre Wagner et les forces de Haftar. « Dabaiba se sert de Bakou pour rappeler à Ankara qu’il dispose d’options, tout en testant la patience de Moscou », glisse un diplomate français. Le risque de surenchère demeure : chaque nouveau fournisseur peut encourager les milices rivales à chercher, elles aussi, de nouveaux appuis extérieurs.

Washington modère, Le Caire fulmine

A la mission américaine pour la Libye, la démarche est décrite comme « compréhensible mais prématurée ». Les États-Unis, qui redoutent une dissémination non contrôlée de technologies de frappe, exhortent Dabaiba à privilégier la stabilisation politique avant le réarmement. L’Égypte, soutien historique du maréchal Haftar, voit d’un très mauvais œil l’éventualité de drones azéris dans la banlieue est de Tripoli. Un haut responsable du renseignement égyptien juge ce mouvement « potentiellement déstabilisateur pour l’ensemble de la vallée du Nil ». Ces crispations entourent un contrat que ni Bakou ni Misrata ne confirment publiquement, signe que la partie se joue encore dans la pénombre diplomatique.

Une manœuvre qui redéfinit le renseignement libyen

L’obtention de drones plus compacts ouvrirait une réforme discrète des services de renseignement extérieurs libyens. Ils pourraient, pour la première fois depuis 2011, disposer d’un capteur ISR organique capable d’alimenter en temps réel l’état-major de la force conjointe. Un officier de Misrata rappelle qu’« un drone n’est pas seulement un vecteur de munition, c’est une antenne volante qui change la grammaire du renseignement ». À terme, les conseillers azerbaïdjanais proposent d’intégrer une architecture de liaison de données chiffrée, créant une dépendance technique qui, au-delà des combats de Tripoli, placerait la Libye dans l’orbite sécuritaire de Bakou.

Le pari incertain d’un réarmement éclair

Aucune date ferme n’a filtré, mais les ingénieurs misratis appellent déjà à l’aménagement de trois pistes secondaires capables d’absorber un flux logistique discret en provenance du Caucase. Reste la question financière : les revenus pétroliers, verrouillés par des arrangements ad hoc avec la Banque centrale, offrent une marge mais rendent indispensable la bénédiction de certaines chancelleries occidentales qui, jusqu’ici, temporisent. Dans les chancelleries, on craint surtout que la livraison ne précède une offensive susceptible de torpiller la médiation onusienne. Le triple pari – militaire, diplomatique et économique – de Dabaiba repose donc sur une chronologie serrée dans laquelle la géopolitique du drone sert à la fois de levier et de menace.

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