De Pointe-Noire aux playlists : l’épreuve de la rumba congolaise face aux standards mondiaux

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À Pointe-Noire, un panel fixe un cap exigeant pour la Fête de la musique

Les rangées de sièges rouges de l’Institut français du Congo se remplissaient encore, ce 21 juin, lorsque le modérateur Gildas Bakala annonça le thème du jour : « La musique congolaise à l’heure des exigences internationales ». Une formule que son agence Prescom Media reprend chaque année, mais qui, cette fois, sonnait moins comme une célébration que comme un appel à la rigueur. D’après une dépêche de Reuters datée du 2 juillet 2024, les revenus du streaming en Afrique subsaharienne ont progressé de 25 % sur un an, mais peu de noms congolais figurent sur les playlists mondiales. Le débat du matin, organisé avant le concert traditionnel du soir au Canal Olympia Mpita, avait donc des airs de séance de crise plutôt que de prélude festif.

Recommandations concrètes de professionnels de terrain

Le gestionnaire culturel Charlemagne Mayassi a ouvert les échanges avec un constat direct : la reconnaissance internationale obéit à des critères impitoyables — classements, rapports d’audits, jurys de festivals. « La victimisation ne passe pas la douane », a-t-il lancé à une salle composée de jeunes rappeurs et de guitaristes rumba chevronnés. Le DJ-producteur Jean-Marc « Marcus » Bissila a traduit cet avertissement en prescriptions concrètes : répétitions structurées, sessions d’écriture relues par les pairs, programmes de mentorat intergénérationnels. William Kinfoussia, fondateur de la plateforme de distribution Wilkai, a apporté une mise en garde numérique : la visibilité sur YouTube n’est pas un modèle économique. Ses chiffres montrent qu’un single congolais de milieu de gamme rapporte à peine trois dollars pour 10 000 vues sur des canaux en accès libre, contre cinq fois plus via des plateformes payantes.

Enjeux de puissance douce à l’ère du mercantilisme culturel

Le corps diplomatique était attentif. La musique n’est plus seulement un loisir, c’est un levier de puissance douce. Le communiqué de l’UNESCO pour la Fête de la musique, en date du 21 juin 2024, rappelait que les biens culturels représentent désormais 3 % du commerce mondial. Pour le Congo-Brazzaville, dont les hydrocarbures masquent un chômage urbain dépassant 20 %, le secteur créatif offre une alternative à la dépendance aux matières premières. Une semaine après le forum de Pointe-Noire, le rapport CANEX de la Banque Africaine d’Import-Export (publié le 27 juin 2024) désignait la rumba congolaise comme un « atout réputationnel » susceptible de soutenir le tourisme régional si des chaînes d’approvisionnement professionnelles voyaient le jour. Une telle reconnaissance donne aux recommandations de la conférence une portée stratégique, bien au-delà du simple conseil sectoriel.

Formation, métadonnées et l’arithmétique implacable des droits d’auteur

Mais les lacunes structurelles persistent. En dehors de l’École nationale des beaux-arts de Brazzaville, les formations en ingénierie du son ou en gestion musicale sont quasi inexistantes. Le ministère de la Culture n’alloue que 0,6 % de son budget à la formation artistique professionnelle, selon les chiffres publiés dans la loi de finances 2024 du 30 juin. Même lorsque des titres sont mis en ligne, des métadonnées incomplètes rompent souvent la chaîne de rétribution. D’après l’Observatoire africain de la musique — lancé à Accra le 25 mai 2024 avec le soutien de l’Union africaine —, 38 % des productions d’Afrique centrale comportent au moins un ayant droit non enregistré. Résultat : les revenus sont captés ailleurs, et les artistes concluent — à tort — que le marché international leur est fermé.

Syndicalisme sectoriel et culture de la critique constructive

Pour inverser la tendance, les intervenants ont plaidé en faveur de syndicats sectoriels capables de négocier des licences globales et de défendre les droits d’auteur. Un message en écho avec le Secrétariat de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), qui a publié le 5 juillet 2024 des directives visant à faciliter la mobilité transfrontalière des professionnels de la culture. Cette dynamique syndicale permettrait aussi d’instaurer une culture de la critique constructive. Mayassi a averti que les artistes obsédés par les applaudissements sur les réseaux sociaux ne sont pas préparés aux coupes sévères imposées par des festivals comme WOMEX ou Visa for Music. Accepter cette rigueur, dit-il, c’est franchir « le niveau postuniversitaire de la créativité ».

Une fenêtre d’opportunité étroite

Deux heures après la fin du débat, les balances sonores résonnaient déjà dans le quartier portuaire de Pointe-Noire. L’optimisme était palpable, mais teinté d’urgence. Si la croissance du streaming ralentit — comme l’a anticipé Midia Research dans un rapport du 3 juillet 2024 —, la concurrence pour apparaître dans les playlists éditoriales deviendra plus féroce. Le Congo-Brazzaville peut encore tirer parti de l’intérêt mondial pour les sonorités africaines, mais ses musiciens doivent convertir leur charisme en conformité avec les normes du business international. Le verdict du matin était sans appel : la rumba congolaise, emblème culturel national, est à l’épreuve. Et désormais, la partition s’écrit autant en métadonnées, management et diplomatie qu’en mélodie.

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