Un nouveau totem administratif au Plateau du Serpent
Sous un soleil matinal encore docile, Ismaïl Omar Guelleh a coupé, le 23 juin 2024, le ruban tricolore du nouveau ministère de l’Énergie, chargé des Ressources naturelles. L’événement, relayé en direct par la télévision nationale, intervient vingt-quatre ans jour pour jour après la première réforme énergétique du chef de l’État. Implanté sur l’ancienne emprise ferroviaire du Plateau du Serpent, le complexe de 18 000 m² associe panneaux photovoltaïques en toiture et façades double peau, symbole d’un virage technologique que le gouvernement veut irréversible (Agence Djiboutienne d’Information, 24 juin 2024). Au-delà de l’esthétique, Djibouti dote enfin son administration d’une salle de crise interconnectée aux centres de données d’Ali Sabieh, ce qui renforce la réactivité en cas de pic de consommation ou de panne régionale.
Modernisation intérieure, messages extérieurs
Dans son allocution, le président a martelé que « chaque kilowatt d’énergie fiable est une minute de paix régionale ». Le propos vise autant l’opinion nationale que les partenaires étrangers : Djibouti figure déjà parmi les plus fortes densités militaires au monde, accueillant des bases américaine, chinoise et française. Le nouveau ministère, bardé de capteurs IoT et d’un centre de cartographie des flux transfrontaliers, devient un espace de négociation pour les contrats de fourniture d’électricité à l’Éthiopie enclavée et un argument commercial pour les data-centers européens à la recherche d’électricité décarbonée (Jeune Afrique, 25 juin 2024).
Financements mêlés : la Chine tout près, l’Europe jamais loin
Officiellement, le chantier de 42 millions de dollars est financé à 55 % par une ligne de crédit de la Banque d’Import-Export de Chine, complétée par un prêt à taux préférentiel de la Banque africaine de développement signé le 7 mai 2024 (BAD, communiqué 8 mai 2024). À Bruxelles, la direction générale INTPA se réjouit, dans une note interne obtenue par la presse, d’avoir sécurisé la fourniture de logiciels de gestion énergétique pour un montant de 6 millions d’euros, offrant à l’Union européenne un pied symbolique dans une infrastructure majoritairement sino-djiboutienne. Cette hybridation des financements illustre une compétition feutrée où chaque bailleur embarque son propre corpus de normes, du câblage fibre jusqu’aux clauses anticorruption.
Une pierre angulaire pour le corridor électrique mer Rouge-Nil
En parallèle de l’inauguration, Djibouti a paraphé un protocole d’accord avec l’Éthiopian Electric Power pour augmenter de 50 % les importations d’hydroélectricité dès janvier 2025, afin d’alimenter le futur terminal de conteneurs Damerjog. Addis-Abeba voit dans cette montée en charge une occasion de consolider ses recettes en devises, à l’heure où le birr subit une dépréciation accélérée (Bloomberg, 14 juin 2024). Côté Saoudien, ACWA Power a confirmé avoir remis une offre de partenariat public-privé pour un champ éolien de 250 MW dans la région de Ghoubet, dont l’électricité transiterait via le nouveau centre de pilotage ministériel (The Africa Report, 20 juin 2024).
Gouvernance énergétique et crédibilité climatique
L’Agence internationale de l’énergie souligne, dans son rapport de mai 2024 sur la Corne de l’Afrique, que Djibouti pourrait devenir autosuffisant en électricité verte d’ici 2030 à condition de tripler la puissance solaire installée et de renforcer sa régulation. Or, la création d’une direction de la conformité carbone au sein du ministère, dotée de pouvoirs de sanction, répond à cette recommandation et crédibilise l’engagement pris à la COP28 de réduire de 40 % l’intensité carbone du PIB d’ici 2035. L’architecture ouverte du nouveau bâtiment, où la salle de contrôle surplombe l’atrium, matérialise une démarche de transparence administrative encore rare dans la région.
Un signal diplomatique à visée régionale
En investissant dans l’épicentre physique de la gouvernance énergétique, Djibouti monétise sa stabilité politique et son positionnement maritime. Le ministre Yonis Ali Guedi affirme que la prochaine étape sera la signature, avant fin 2024, d’un accord tripartite avec le Kenya et l’Arabie saoudite pour un câble sous-marin haute tension longeant la faille de l’Afar. Si ce projet voit le jour, le centre nerveux inauguré ce 23 juin deviendra la tour de contrôle d’un corridor électrique entre mer Rouge et océan Indien. Aux yeux des diplomates occidentaux présents à la cérémonie, dont l’ambassadrice de France Dana Purcarescu, le message est clair : Djibouti entend rester l’irremplaçable pivot sécuritaire et désormais énergétique de la Corne.
Entre vitrine nationale et laboratoire régional
Au terme de la visite guidée, un conseiller émirati chuchotait que « le vrai pari de Guelleh n’est pas l’architecture, mais la capacité à faire respecter les contrats ». Derrière le sarcophage de verre, la diplomatie djiboutienne joue la carte de la normalisation juridique pour attirer investisseurs et bailleurs. Si la promesse est tenue, le nouveau ministère pourrait faire école dans les petits États portuaires cherchant à convertir leur stature logistique en influence normative. Dans le cas contraire, il risque d’ajouter une ligne au catalogue des ouvrages africains élégants, mais sous-exploités.