Droits de douane solaires : Pretoria menace-t-elle sa propre sécurité énergétique ?

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Un projet tarifaire à contre-courant de la souveraineté énergétique sud-africaine

Dévoilé à la mi-juin par le ministère des Finances, le relèvement envisagé des droits de douane sur les équipements photovoltaïques importés – de 10 % à près de 30 % selon les segments – a fait l’effet d’un électrochoc au sein de l’Association for Renewable Energy Practitioners (Arep). L’organisation, qui regroupe plus de 120 entreprises sud-africaines, dénonce une « punition économique infligée aux acteurs locaux dans un contexte de crise électrique chronique », selon les mots de sa directrice exécutive, Thandiwe Mokoena.

Pour Pretoria, l’objectif affiché est d’inciter à la relocalisation d’une partie de la chaîne de valeur solaire et de renflouer un budget contraint. Mais l’argument masque, selon les industriels, le risque immédiat de renchérir des projets déjà fragilisés par la dépréciation du rand et la crise logistique mondiale. L’Afrique du Sud dépend encore à plus de 80 % du charbon pour sa production d’électricité ; la transition vers le solaire constitue donc autant un impératif environnemental qu’un pilier de sécurité nationale.

Infrastructures critiques : le maillon énergétique au cœur de la posture de défense

La South African National Defence Force (SANDF) a, depuis la série de black-outs de 2022, intégré la continuité électrique à son concept d’opérations. Plusieurs bases aériennes et navales expérimentent des micro-grids solaires pour réduire leur vulnérabilité aux interruptions du réseau public. « Une taxation à 30 % sur les onduleurs ou les cellules haute performance retarderait nos calendriers de déploiement d’au moins dix-huit mois », confie un officier logisticien de la base de Waterkloof, sous couvert d’anonymat. Or, la doctrine sud-africaine de projection régionale repose sur la disponibilité permanente des capacités de transport stratégique et de surveillance aérienne.

Au-delà du domaine militaire, les ministères de la Police et de la Sécurité intérieure rappellent que 36 % des postes de police ont recours à des générateurs solaires hybrides depuis les émeutes de juillet 2021. L’augmentation des coûts importerait une vulnérabilité supplémentaire pour des infrastructures que les groupes criminels ciblent déjà pour le vol de cuivre.

Des chaînes d’approvisionnement solaires prises dans le jeu géopolitique

La Chine fournit près de 85 % des modules installés en Afrique australe. Si Pretoria souhaite diversifier ses sources et stimuler la production nationale, elle se heurte au déficit de capitaux, de silicium purifié et d’expertise technologique. L’industriel local ARTsolar affirme que sa capacité annuelle de 300 MW reste bien en-deçà des besoins internes, estimés à 2 GW par an pour seulement stabiliser le réseau d’Eskom.

En coulisse, certains diplomates craignent que la mesure douanière ne soit perçue comme une provocation par Pékin, partenaire majeur du programme ferroviaire et de l’Initiative pour le développement des zones économiques spéciales. D’autant que l’Union européenne, fournisseur d’onduleurs de haute précision, s’interroge sur la compatibilité de la taxe avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce. Le ministère sud-africain du Commerce doit arbitrer entre protectionnisme industriel et maintien des relations stratégiques.

Partenariat civil-militaire : une piste pour sanctuariser la production locale

Face à l’impasse budgétaire, Arep plaide pour un mécanisme d’achats groupés associant la SANDF, les régies municipales et les acteurs privés de la sécurité. L’idée : garantir un volume minimal permettant à deux nouvelles lignes d’assemblage de cellules PERC de voir le jour dans le KwaZulu-Natal. Le Trésor étudierait une exonération partielle de la future taxe pour les projets répondant à des critères de sécurité nationale, inspirée du Defense Production Act américain.

Le Council for Scientific and Industrial Research (CSIR) rappelle toutefois que, sans investissement parallèle dans la métallurgie du cuivre et de l’aluminium, le pays restera dépendant des importations pour les cadres et les câbles. La SANDF, souvent pionnière en matière d’achat local, pourrait jouer un rôle d’agrégateur de la demande, à l’image des programmes off-grid destinés aux bases frontalières.

Diplomatie énergétique et leadership régional à l’épreuve

Sur la scène africaine, l’Afrique du Sud se présente comme chef de file de la transition énergétique. Un recul brutal de son marché solaire affaiblirait sa crédibilité auprès de la Communauté de développement d’Afrique australe, alors que la Namibie et le Botswana avancent leurs propres parcs photovoltaïques sans barrière tarifaire supplémentaire. « Si nous freinons notre industrie, nous cédons un pan de soft power vert », avertit Sipho Luthuli, ancien diplomate aujourd’hui consultant en énergie.

Dans les négociations climatiques, Pretoria fait valoir que la stabilité de son réseau électrique conditionne la sécurisation des corridors miniers, cruciaux pour les métaux stratégiques comme le manganèse et le platine. Un environnement douanier dissuasif pourrait retarder la modernisation de ces corridors et, par ricochet, l’exportation des matières premières indispensables aux alliés occidentaux.

Perspectives et chemins de traverse pour Pretoria

À l’heure où la Russie et la Turquie proposent des partenariats clés en main pour des centrales nucléaires de petite taille, le solaire demeure l’option la plus rapide à déployer pour renforcer la résilience du réseau sud-africain. La décision finale sur la hausse douanière est attendue pour septembre. Entre impératif budgétaire, pression industrielle et exigences de sécurité, le gouvernement Ramaphosa évolue sur une crête étroite. Un compromis pourrait passer par un tarif dégressif, couplé à des subventions ciblées pour la R&D locale et des exemptions pour les usages stratégiques.

Quoi qu’il en soit, l’équation énergétique sud-africaine ne relève plus uniquement du secteur civil. La sécurisation des bases militaires, la continuité des services policiers et l’influence diplomatique régionale font désormais corps avec la filière photovoltaïque. Porter atteinte à cette dernière reviendrait à fragiliser un pilier de la souveraineté nationale, là où le soleil, abondant, offrait pourtant une réponse à portée de panneau.

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