Un message présidentiel au parfum stratégique
La brève visite à Rabat, mardi, de l’émissaire spécial malawite Eisenhower Nduwa Mkaka n’a pas seulement échangé des formules de courtoisie. Portant une lettre du président Lazarus Chakwera à Mohammed VI, l’ancien chef de la diplomatie de Lilongwe a réaffirmé devant Nasser Bourita « le soutien ferme et inchangé du Malawi à l’intégrité territoriale du Royaume ». Derrière cette déclaration, qui pourrait sembler rituelle, se profilent des considérations de défense bien concrètes : dans une région sahélienne fragilisée par les insurrections jihadistes, chaque appui diplomatique devient un multiplicateur de puissance.
Un soutien diplomatique aux répercussions sécuritaires
À Lilongwe, le Conseil de défense nationale voit dans l’alignement sur Rabat l’occasion de bénéficier d’un partage d’expérience en matière de gestion des espaces désertiques et de renseignement frontalier. Les forces armées malawites, traditionnellement tournées vers les opérations de maintien de la paix onusiennes, envisagent déjà d’envoyer des officiers stagiaires dans les centres marocains de formation à la guerre asymétrique. « Le Sahara est pour nous un laboratoire de contre-insurrection », confie un colonel malawite sous couvert d’anonymat. L’appui politique devient ainsi une monnaie d’échange pour accéder à un savoir-faire opérationnel que peu de pays d’Afrique australe maîtrisent.
Consulat de Laâyoune : vitrine symbolique et relais logistique
Inauguré en juillet 2021, le consulat général du Malawi à Laâyoune dépasse la simple portée symbolique d’un drapeau hissé aux portes du désert. Le poste diplomatique sert désormais de point de passage aux délégations militaires malawites en transit vers les centres d’entraînement des Forces armées royales (FAR). Il offre également une plate-forme de collecte de données sur les flux migratoires d’Afrique de l’Ouest, informations précieuses pour la Police Service Commission de Lilongwe, confrontée à l’apparition de réseaux criminels transnationaux traversant la Zambie et le Mozambique.
Coopération sécuritaire maroco-malawite : état des lieux
Au-delà des annonces, la coopération progresse par touches discrètes. Depuis 2022, des officiers des FAR participent aux exercices « Kutetsa », dédiés à la sécurisation des infrastructures critiques au Malawi. En retour, des instructeurs malawites ont rejoint la Mission de formation du G5 Sahel pilotée par le Maroc à Benguérir. Rabat met également à disposition son agence de renseignement extérieur, la DGED, pour le recoupement de signaux téléphoniques liés à des trafics d’armes issus du corridor tanzanien. Cette interaction nourrit un capital confiance qui, selon un diplomate européen basé à Pretoria, « fait du Maroc l’un des rares pays nord-africains à posséder aujourd’hui un accès direct aux forces de sécurité d’Afrique australe ».
Impact sur les équilibres africains et sur la MINURSO
L’adhésion du Malawi au camp pro-marocain pèse aussi sur la diplomatie panafricaine. Traditionaliste, la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) soutient depuis deux décennies le front polisario. La décision de Lilongwe fragilise cet alignement et prive Alger d’un relais parmi les pays sans façade atlantique. Sur le terrain, l’extension progressive du soutien africain à Rabat complique la tâche de la MINURSO, structure dont le mandat de supervision cesse aux frontières marocaines. Les observateurs onusiens constatent déjà que la zone tampon se militarise moins depuis que plusieurs États, dont le Malawi, se déclarent prêts à envoyer des formateurs à Laâyoune.
Vers un élargissement de l’axe Rabat-Lilongwe
L’agenda 2024-2026 prévoit la signature d’un accord de coopération en matière de cybersécurité et de protection des données bancaires, domaine où le Maroc capitalise sur l’expertise de la Direction générale de la sécurité des systèmes d’information. Un protocole de financement à hauteur de 50 millions de dollars, via Bank of Africa, vise, selon le ministre malawite des Finances, à moderniser les unités de surveillance des frontières du lac Chilwa. Pour Rabat, cette ouverture vers l’Afrique australe complète son réseau stratégique s’étendant déjà du Sénégal au Djibouti. Quant à Lilongwe, elle y gagne un partenaire à même de lui fournir drones tactiques et imagerie satellitaire, indispensables pour surveiller une côte lacustre vulnérable aux trafics. Au-delà du désert, c’est donc une architecture de sécurité africaine transrégionale qui se redessine, à l’ombre d’un consulat et d’une poignée de déclarations soigneusement pesées.