Espace Mbongui : les tambours du Kouilou sonnent plus fort que la realpolitik

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Un 21 juin stratégique pour Brazzaville

De Paris à Tokyo, la Fête de la Musique est devenue, depuis quarante-deux ans, un laboratoire mondial de diplomatie douce. Brazzaville ne déroge pas à la règle : le 21 juin 2024, l’Espace culturel Le Mbongui a rassemblé à Tchimbambouka plus de cinq cents personnes, dont des représentants du corps diplomatique local et d’organisations régionales de la CEEAC, pour célébrer des sonorités parfois millénaires (Les Dépêches de Brazzaville, 22 juin 2024). Si l’événement s’inscrit dans la continuité d’initiatives précédentes, la densité des présences officielles atteste d’un positionnement stratégique : utiliser le patrimoine immatériel pour projeter une image stable et souveraine du Congo au-delà de l’Atlantique pétrolier.

Tchimbambouka, laboratoire de soft power

En donnant carte blanche au Comité régional des ensembles traditionnels du Kouilou (CRETK), les autorités locales ont articulé folklore et politique publique. Selon le conseiller socio-culturel Aurélien Kaya, il s’agit de « transformer chaque tambour en messager d’unité nationale » (Ministère de la Culture du Congo, 26 juin 2024). Cette mise en récit rejoint la stratégie culturelle présentée par le ministre Dieudonné Moyongo lors du Forum national des industries créatives à Brazzaville, où la musique a été définie comme « infrastructure symbolique ». À Tchimbambouka, la présence des ensembles Mbongui Kinkulu, Luak’lu Mogni ou Kibaka illustre cette volonté : les danses initiatiques Tchikumbi et Nzobi, jadis cantonnées aux cercles lignagers, deviennent instruments de rayonnement régional, à l’heure où le Golfe de Guinée cherche de nouveaux repères de stabilité.

Entre mémoires et industries créatives

Depuis la ratification par le Congo, en février 2024, de la Convention de l’Union africaine sur l’économie créative, la monétisation des savoirs ancestraux n’est plus un tabou. Le promoteur de l’Espace Mbongui, Noelien Samba, évoque déjà vingt-sept emplois directs générés par les répétitions et trente-sept spectacles programmés en deux ans. Les recettes, encore modestes, sont réinvesties dans un atelier de fabrication de percussions certifié par la Chambre des métiers de Pointe-Noire (La Semaine Africaine, 25 juin 2024). Cette dynamique répond à un constat établi dans le Rapport 2024 de l’UNESCO sur la culture et le développement, publié le 21 juin dernier : chaque dollar investi dans la musique traditionnelle en Afrique centrale en génère 1,6 dans l’économie locale (UNESCO, 21 juin 2024).

Une diplomatie des esprits et des chiffres

Pour les diplomates présents, l’événement offre un double signal. D’un côté, il souligne la résilience identitaire d’une population marquée par la volatilité des cours pétroliers ; de l’autre, il sert de vitrine à un secteur créatif susceptible d’attirer partenaires techniques et investisseurs. Le coordonnateur sous-régional de l’Organisation internationale de la Francophonie, Yves Kouamé, a ainsi annoncé la possibilité d’un fonds d’appui de 200 000 € dédié à la circulation des troupes traditionnelles congolaises sur la scène francophone. À courte échéance, l’objectif est d’aligner cette diplomatie culturelle sur les projets d’interconnexion routière et portuaire du Programme des corridors du Golfe de Guinée, afin de renforcer la visibilité du Kouilou dans les enceintes multilatérales.

Tensions patrimoniales et gouvernance locale

Le succès populaire de la soirée du 21 juin ne doit pas occulter les défis. Les notables de Tchimbambouka redoutent que la professionnalisation accélérée ne dénature la charge rituelle des danses, tandis que les dirigeants de l’Espace Mbongui dénoncent des procédures d’homologation jugées « lentes et opaques ». Sur ces points, le préfet de Pointe-Noire a annoncé l’élaboration, d’ici septembre 2024, d’un décret fixant un régime simplifié pour les lieux dédiés au patrimoine immatériel, inspiré du modèle béninois de Savalou. Cette mesure, soutenue par l’Agence française de développement via son programme Archipelagos, devrait sécuriser les investissements privés attendus dans la captation audiovisuelle et la numérisation des archives chorégraphiques.

Le pari d’une identité exportable

En définitive, la soirée orchestrée par le CRETK à l’Espace Mbongui dépasse la simple célébration festive. Elle s’inscrit dans une stratégie de projection identitaire qui combine économie créative, diplomatie publique et résilience communautaire. Les convives étrangers ont retenu une image : celle de percussions convergeant au-dessus des palmiers, comme pour signifier que la cohésion sociale congo-gabonaise pouvait aussi se jouer sur le terrain de la mémoire sonore. Vu de l’extérieur, l’État congolais mise désormais sur l’idée que, dans une géopolitique saturée par les indicateurs sécuritaires, la légitimité peut aussi se construire à la force d’un tambour. Si les engagements budgétaires annoncés fin juin se concrétisent, le Kouilou pourrait devenir, dans les prochaines années, un hub culturel d’influence comparable à Zanzibar pour l’Afrique de l’Est, confirmant la pertinence du soft power musical dans la diplomatie contemporaine.

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