Une remontée spectaculaire des flux de capitaux
À la faveur d’une croissance annuelle de 21,7 %, les investissements directs étrangers en Éthiopie ont atteint 4 milliards de dollars en 2024, soit près de la moitié de l’ensemble capté par l’Afrique de l’Est (CNUCED, Rapport sur l’investissement dans le monde 2025, 14 juin 2025). Cette performance place Addis-Abeba devant Nairobi et Dar es-Salaam, reléguant respectivement le Kenya à 2,5 milliards et la Tanzanie à 1,1 milliard. Lorsque la CNUCED avait, en 2022, prévenu que la crise du Tigré risquait d’assécher les capitaux, peu d’observateurs misaient sur une inversion aussi rapide. « Nous avons sécurisé quarante-trois projets greenfield en douze mois, un record national », se félicite Hanna Arayaselassie, directrice générale de l’Ethiopian Investment Commission, dans un entretien accordé à l’hebdomadaire The Reporter (28 juin 2025).
Les ingrédients d’une attractivité renouvelée
La spectaculaire libéralisation du secteur télécoms, matérialisée par l’octroi en mai 2024 d’une deuxième licence nationale et l’ouverture du capital d’Ethio Telecom, a envoyé un signal puissant aux marchés émergents (Reuters, 17 juin 2025). Les réformes fiscales, la création de tribunaux commerciaux spécialisés et la consolidation des parcs industriels d’Hawassa ou de Bole Lemi ont renforcé la prévisibilité réglementaire tout en réduisant les coûts logistiques. Dans l’énergie, le lancement de la ferme solaire de Metahara et les appels d’offres pour six nouveaux projets géothermiques positionnent le pays comme futur exportateur d’électricité verte vers Djibouti et le Kenya. Le FMI note que ces initiatives ont permis de « réduire de 12 % le risque-pays perçu par les investisseurs institutionnels » (FMI, Consultation Article IV, 6 juillet 2025).
Des gains économiques sous fortes contraintes politiques
L’essor des capitaux étrangers masque toutefois la fragilité du contrat social éthiopien. Le processus de paix entre le gouvernement fédéral et le Front de libération du peuple du Tigré demeure inachevé, tandis que les violences intercommunautaires dans l’Oromia continuent de perturber les corridors logistiques. Selon l’International Crisis Group, 14 % des projets manufacturiers approuvés en 2023 affichent déjà un retard supérieur à six mois, principalement pour des raisons sécuritaires (ICG, Briefing 3 juillet 2025). Les bailleurs arabes et turcs, devenus les premiers pourvoyeurs de capitaux, exigent désormais des garanties plus strictes, notamment la possibilité d’arbitrage international. « La stabilité politique reste l’ultime ‘due diligence’ », résume un diplomate européen en poste à Addis-Abeba.
Impact régional et rivalités en Afrique de l’Est
Le leadership éthiopien en matière d’IDE réactive des rivalités anciennes avec le Kenya, qui tente de conserver son statut de hub financier grâce à la Bourse de Nairobi et au corridor ferroviaire Mombasa-Naivasha. Nairobi a lancé en février 2025 un régime fiscal préférentiel pour les industries pharmaceutiques, explicitement inspiré des incitations éthiopiennes (Daily Nation, 22 février 2025). Parallèlement, la Tanzanie s’appuie sur le port en eaux profondes de Bagamoyo pour cibler les mêmes investisseurs logistiques que l’Éthiopie. Cette compétition, si elle est maîtrisée, peut servir de moteur à l’intégration économique de la Communauté d’Afrique de l’Est, mais elle accentue aussi les divisions autour des normes douanières et des politiques de change.
Quelles perspectives pour 2025 et au-delà ?
La Banque mondiale anticipe un flux d’IDE proche de 4,3 milliards de dollars pour l’Éthiopie en 2025, sous réserve d’un maintien de la trêve sécuritaire et d’une consolidation des réserves de change attendue à 4,6 milliards de dollars (Banque mondiale, Tableau de bord macroéconomique, 5 juillet 2025). L’adhésion d’Addis-Abeba au groupe des BRICS+, officialisée en janvier 2024, pourrait ouvrir des lignes de financement concessionnel supplémentaires, notamment via la New Development Bank, mais accroît la vigilance des partenaires occidentaux sur les questions de gouvernance. À la Chambre basse, l’opposition plaide déjà pour un encadrement plus strict des exonérations fiscales accordées aux conglomérats asiatiques, afin d’éviter une ‘course vers le bas’ salariale et environnementale. En définitive, l’attraction actuelle de l’Éthiopie repose autant sur la promesse d’un marché intérieur de 126 millions de consommateurs que sur la capacité des autorités à garantir un État de droit robuste. Sans cet ancrage, le pays pourrait voir ses 4 milliards de dollars s’évaporer aussi vite qu’ils sont arrivés.