Crise des finances publiques et plafond de verre sécuritaire
La confirmation, par Fitch Ratings, de la note souveraine «CCC» pour le Gabon n’a surpris ni les chancelleries ni les analystes militaires de la région. En revanche, la lecture attentive des annexes techniques révèle une vulnérabilité qui déborde largement le seul périmètre macro-économique. Les fondations budgétaires fragiles érigent un véritable plafond de verre au-dessus des ambitions sécuritaires de Libreville, alors même que l’appareil militaire reste l’un des premiers postes de dépense discrétionnaire de l’État.
Dès 2024, la hausse des dépenses publiques — +15 % selon Fitch — a surtout profité aux salaires de la fonction publique et aux projets routiers destinés à apaiser une opinion chauffée par la séquence électorale. Un conseiller du ministère de l’Économie reconnaît, sous couvert d’anonymat, que « chaque franc redirigé vers le social est un franc retranché aux crédits d’équipement des forces ». Dans un contexte où 72,9 % du PIB est déjà absorbé par la dette, la marge de manœuvre pour financer entraînements et opérations extérieures se resserre dangereusement.
Dépendance pétrolière et imprévisibilité de la planification militaire
Le budget défense gabonais reste grevé par la volatilité de la rente pétrolière, laquelle représente encore plus de 40 % des recettes fiscales. À chaque choc sur le Brent, les administrateurs du Trésor se livrent à des coupes claires dans les autorisations d’engagement, compromettant l’élaboration de plans d’armement pluriannuels. Un officier supérieur de l’état-major confie que la programmation 2022-2026 n’a été financée qu’à hauteur de 35 %. Les livraisons d’hélicoptères de transport, indispensables aux missions de sécurisation des sites pétroliers off-shore, sont repoussées aux calendes grecques.
Cet aléa financier nourrit une incertitude structurelle qui affaiblit à la fois l’efficacité opérationnelle et la crédibilité diplomatique du Gabon, État traditionnellement engagé dans les médiations régionales. Dans les couloirs de l’Union africaine, certains diplomates murmurent que Libreville pourrait bientôt avoir « l’influence budgétaire d’un micro-État ». La projection de puissance douce, si précieuse pour la diplomatie gabonaise, se heurte désormais à l’arithmétique pétro-budgétaire.
Arriérés de l’État : la modernisation des forces au ralenti
Fitch estime à 2,8 % du PIB les arriérés globaux de l’État, dont 1,6 % dus à des créanciers extérieurs. Pour les fournisseurs d’équipements militaires, le retard de paiement dépasse parfois dix-huit mois, ce qui renchérit les contrats via des primes de risque. Les chaînes d’approvisionnement en pièces détachées pour les blindés ERC-90 et les patrouilleurs côtiers sont régulièrement interrompues, obligeant les commandants d’unité à cannibaliser des engins immobilisés afin de maintenir un taux de disponibilité minimal.
Ce cercle vicieux atteint aussi la gendarmerie et la police nationale, qui peinent à renouveler leurs moyens de mobilité. Les véhicules tout-terrain promis aux équipes anti-braconnage, très médiatisées lors du dernier Sommet pour la forêt tropicale, dorment toujours sur le port d’Owendo faute de règlement de la facture. L’indiscipline budgétaire héritée des dernières années du régime Bongo poursuit donc ses ravages bien au-delà du seul bilan comptable.
Une diplomatie de la dette face aux bailleurs multilatéraux
En levant l’hypothèque politique de la présidentielle, Libreville espérait rouvrir les vannes des financements concessionnels. Or la notation «CCC» renvoie un signal d’alerte aux bailleurs. Un responsable de la Banque africaine de développement explique que « la priorité ira aux projets à rendement socio-économique immédiat ». Traduction : les programmes de cybersécurité ou de renseignement imputés au budget Défense risquent de passer derrière les travaux d’infrastructures civiles dans l’ordre de décaissement.
Le Gabon devra donc composer avec une diplomatie de la dette faite de négociations au cordeau et de conditionnalités renforcées. L’exigence de transparence, notamment sur les contrats d’armement, s’annonce plus stricte. Les partenaires occidentaux, échaudés par les précédentes irrégularités, conditionnent désormais toute assistance technique à un audit indépendant des flux financiers. Cette pression extérieure pourrait néanmoins se muer en catalyseur de réformes, à condition que le nouveau gouvernement accepte d’inscrire la dépense sécuritaire dans un cadre pluriannuel enfin crédible.
Scénarios 2026 : arbitrage budgétaire entre caserne et hôpital
Fitch table sur un déficit ramené à 2,1 % du PIB en 2026, sous réserve d’une maîtrise des dépenses courantes. Or cette trajectoire implique un ralentissement de la croissance et, mécaniquement, une contraction des recettes pétrolières en valeur relative. L’arbitrage se dessinera alors entre maintien de la solde des troupes, achat de médicaments essentiels et service de la dette. Faute de réforme fiscale ambitieuse, l’équation restera insoluble.
Pour l’instant, le ministère de la Défense explore des partenariats capacitaires à coût contenu, à l’image de la formation conjointe avec le Maroc dans le domaine du renseignement d’origine image. Ces coopérations, moins onéreuses qu’un achat d’équipement clés en main, illustrent un pragmatisme contraint. Reste que sans respiration budgétaire, l’armée gabonaise risque de naviguer entre sous-capacités chroniques et montée des périls régionaux, notamment dans le golfe de Guinée. À Libreville, les états-majors redoutent déjà que la note «CCC» ne finisse par valoir «CC» à la sécurité nationale.