Un but qui pèse sur la balance de l’influence marocaine
En concluant l’action parisienne d’une frappe chirurgicale à la 67e minute, Achraf Hakimi n’a pas seulement offert la qualification au Paris Saint-Germain. Il a rappelé, devant une audience planétaire, la capacité du Maroc à projeter un récit de réussite incarné par son capitaine des Lions de l’Atlas. À Rabat, le ministère des Affaires étrangères observe avec intérêt cette visibilité accrue : elle nourrit une stratégie de puissance douce patiemment élaborée depuis le succès de la sélection nationale lors du Mondial 2022. « Le football complète notre dispositif diplomatique classique et renforce notre dialogue stratégique, notamment en Afrique de l’Ouest », confie un conseiller du chef du gouvernement.
Sur le plan intérieur, la figure d’Hakimi sert un objectif moins médiatisé : renforcer le lien armée-nation. Depuis 2020 et la modernisation de son service militaire, le royaume a inscrit les sportifs d’élite dans ses campagnes de recrutement volontaire. Le latéral du PSG, qui a suivi la formation paramilitaire de base, fait figure d’ambassadeur des nouvelles forces armées. Son but face à Seattle se lit ainsi comme un acte de communication stratégique, instrumentalisé pour consolider la cohésion nationale autour de l’institution militaire.
Le PSG, cheval de Troie du Qatar sur le théâtre européen
Propriété du fonds souverain qatari depuis 2011, le Paris Saint-Germain demeure un instrument privilégié de la diplomatie sportive de Doha. Selon le Dr Khalid Al-Harami, spécialiste du Golfe à l’Université de Georgetown, « chaque succès du club est un message adressé aux partenaires de l’OTAN : le Qatar est un acteur stable, solvable, capable de mobiliser du capital à long terme ». La victoire face aux Sounders intervient à un moment charnière, alors que les Forces armées qataries prennent livraison de la dernière tranche de Rafale et s’intéressent de près aux programmes de drones européens.
Ce déploiement d’influence n’est pas dénué d’arrières-pensions sécuritaires. Les maisons-mères de la Qatar Investment Authority coopèrent avec la Direction générale de la sécurité intérieure française pour sécuriser les déplacements du club, lesquels deviennent des répétitions grandeur nature des protocoles déployés durant la Coupe du monde 2022. En coulisses, des spécialistes cyber accompagnent l’équipe pour prévenir toute fuite de données biométriques, enjeux cruciaux à l’heure des passeports numériques de la FIFA.
Seattle, laboratoire des partenariats transatlantiques de sécurité
Si le résultat sportif a tourné en faveur des Parisiens, la ville de Seattle s’est surtout illustrée par la fluidité de la coopération policière mise en place pour l’événement. La Gendarmerie nationale, forte de son retour d’expérience lors de la Coupe du monde de rugby, a dépêché deux officiers de liaison. « Nous avons travaillé main dans la main avec le Seattle Police Department sur la gestion des flux supporters et la prévention des attaques NRBC », détaille la colonelle Élodie Laroche.
Cette coordination illustre un mouvement plus large observé entre l’Europe et les États-Unis : face aux menaces hybrides visant les foules sportives, les services échangent désormais en temps réel leurs évaluations de risque via la plateforme Atlantic Secure Stadia, inaugurée en 2023. La rencontre de Club World Cup sert donc d’examen pratique pour ces protocoles de renseignement partagé, avant les Jeux olympiques de Paris.
De la pelouse au terrain des opérations psychologiques
La répétition quasi métronomique des exploits de Hakimi dans les grands rendez-vous européens possède une dimension psychologique. Le chef du Centre interarmées des actions sur l’environnement humain, le général de division Duval, rappelle que « le récit héroïque, relayé par les réseaux sociaux, réduit la fenêtre d’opportunité des acteurs hostiles cherchant à polariser les opinions publiques ». En d’autres termes, la figure du footballeur triomphant neutralise partiellement les narratifs adverses, notamment ceux véhiculés par certaines puissances concurrençant le Maroc en Afrique.
Cette dynamique n’est pas fortuite : le département de la communication stratégique du ministère marocain de la Défense a multiplié les partenariats avec les fédérations sportives pour calibrer les messages diffusés après chaque succès international. Le match contre Seattle, largement couvert par les chaînes panarabes, a été immédiatement recyclé dans une campagne numérique valorisant la posture sécuritaire de Rabat au Sahel. Le sport devient ainsi une rampe de lancement pour des opérations d’influence à haute valeur ajoutée.
Le risque d’une victoire pyrrhique à l’horizon 2030
Toutefois, le mariage entre football et stratégie de puissance n’est pas exempt de zones grises. Les dépenses cumulées du Qatar et du Maroc pour soutenir leurs franchises sportives suscitent des interrogations budgétaires, alors que les besoins capacitaires restent élevés, notamment dans la défense antimissile. À Paris, certains députés soulignent que la présence croissante de capitaux extramoyen-orientaux dans le paysage sportif complique la gouvernance de la sécurité intérieure, en multipliant les interlocuteurs privés lors des grands rassemblements.
Plus fondamentalement, la surexposition médiatique d’athlètes-icônes peut créer un effet de saturation. Les campagnes de désinformation adverses exploitent déjà la moindre défaillance individuelle pour entamer la crédibilité institutionnelle des États qui les instrumentalisent. En cela, l’exploit de Hakimi rappelle que le soft power reste un exercice d’équilibriste : efficace pourvu qu’il s’appuie sur une stratégie de résilience, tant en cyberdéfense qu’en communication de crise.
Vers un agenda de sécurité intégrée autour du ballon rond
La victoire 2-0 à Seattle, loin de clore le chapitre, en ouvre un nouveau : celui de l’appropriation militaire et policière des leviers de la compétition footballistique. À l’approche de la Coupe du monde 2030, que le Maroc entend co-organiser, Rabat affine un dispositif de sûreté reposant à la fois sur la gendarmerie, les forces spéciales et un réseau de startups de cybersécurité recrutées dans l’écosystème casablancais.
Dans la même veine, Doha capitalise sur l’expertise acquise en 2022 pour commercialiser des formations en protection d’infrastructures critiques auprès de partenaires africains. L’issue du match PSG-Sounders n’est donc qu’un jalon : la véritable rencontre se joue sur la capacité des capitales à transformer la ferveur sportive en avantage stratégique durable.