Premiers jalons d’un rapprochement Indo-Congolais
En l’espace de quelques mois, les aéroports militaires de Gwalior, Hyderabad et Pune ont accueilli des délégations congolaises soucieuses de scruter les derniers nés de l’arsenal indien. Sous l’égide de South Block et du département de l’exportation de matériels de défense (DEPO), une diplomatie de la vitrine industrielle s’est installée, faisant de la République démocratique du Congo le troisième pays africain invité cette année à visiter les chaînes d’assemblage de Bharat Dynamics Limited et de Hindustan Aeronautics. L’initiative étonne par son rythme : Kinshasa n’avait jusque-là entretenu qu’un dialogue sporadique avec New Delhi, limité à la coopération médicale et à la participation de contingents indiens à la MONUSCO. Désormais, les carnets de rendez-vous consultés par nos soins mentionnent des points hebdomadaires par visioconférence entre l’état-major général des FARDC et plusieurs directeurs commerciaux indiens.
Diversification stratégique de l’armée congolaise
L’intérêt manifesté par Kinshasa traduit une volonté assumée de ne plus dépendre exclusivement des places de marché russe et chinoise. « Notre priorité est de disposer d’équipements adaptés à la topographie forestière et aux opérations contre-insurrectionnelles », rappelle le général Kasenga, chef d’état-major adjoint chargé des opérations. Les récents retards de maintenance sur les hélicoptères Mi-24 et l’embargo partiel qui pèse sur certains composants occidentaux ont convaincu les FARDC de prospecter de nouveaux fournisseurs. Les entreprises indiennes proposent des plateformes souvent dérivées de standards soviétiques mais modernisées : obusiers tractés Dhanush, lance-roquettes multiples Pinaka ou véhicules blindés Kalyani M4. La compatibilité relative de ces matériels avec la logistique déjà en place constitue un argument de poids pour un Etat dont le budget défense peine à dépasser 1,2 % du PIB.
Le pari industriel de New Delhi sur le continent africain
Porté par le slogan « Defence Exports: From Buyer to Builder », le gouvernement Modi ambitionne de franchir le seuil des 5 milliards de dollars d’exportations militaires annuelles à l’horizon 2025. L’Afrique subsaharienne représente à ses yeux un marché d’entrée relativement moins concurrentiel que le Proche-Orient ou l’Asie du Sud-Est. « Nous voyons la RDC comme un partenaire crédible sur le long terme », confie sous couvert d’anonymat un conseiller à la cellule Afrique du ministère indien de la Défense. Outre des remises attractives – jusqu’à 15 % pour les premiers contrats – New Delhi mise sur un paquet global combinant transfert de savoir-faire, formation et financement via l’Exim Bank. Cette politique de guichet unique séduit des capitales africaines en quête de solutions rapides face aux menaces hybrides.
Enjeux opérationnels pour les FARDC
Sur le terrain, l’intégration de nouveaux vecteurs suppose une adaptation doctrinale non négligeable. Les officiers congolais s’intéressent particulièrement aux drones tactiques de NewSpace Research capables de survoler des zones forestières où foisonnent les groupes armés. Des essais réalisés fin mars dans le district de Jabalpur ont montré qu’un mini-UAV de six kilogrammes pouvait retransmettre, en direct, des images haute résolution malgré une humidité simulée de 95 %. Si la commande aboutit, il s’agira du premier système de ce type à être mis en œuvre par les FARDC, dont la reconnaissance aérienne reste jusqu’ici tributaire de moyens onusiens ou de vols affrétés ponctuellement à Pretoria.
La dimension renseignement et formation
Au-delà des équipements, la RDC sollicite un accompagnement dans la modernisation de sa chaîne renseignement. L’Indian Army Training Command a, selon nos informations, soumis un curriculum combinant cours SIGINT et stages de contre-insurrection à Mahuango, dans l’État de Manipur, réputé pour ses terrains similaires à la cuvette congolaise. Les premières cohortes devraient accueillir trente officiers subalternes dès septembre. Les services de sécurité intérieure y voient un moyen d’harmoniser la collecte entre forces armées et police nationale, tout en capitalisant sur l’expérience indienne de lutte contre les maoïstes du centre du pays.
Conformité, risques et crédibilité internationale
Reste la question délicate du financement et du respect des standards de conformité. Washington, par la voix d’un diplomate basé à New Delhi, rappelle que tout transfert susceptible de modifier l’équilibre régional en Afrique centrale sera scruté. De son côté, l’Union européenne insiste sur le traçage des munitions pour éviter tout détournement vers les milices. Les industriels indiens affirment avoir intégré les exigences ITAR-free ainsi qu’un système de marquage laser individualisé. Kinshasa devra néanmoins démontrer la solidité de ses mécanismes de contrôle interne, sous peine de voir les lignes de crédit se refermer. La crédibilité internationale de l’armée congolaise se joue donc autant dans les salles de négociation que sur les pistes d’essais du Madhya Pradesh.
Si le calendrier ne dérape pas, un premier protocole d’accord pourrait être signé en marge du prochain sommet Inde-Afrique prévu à New Delhi en novembre. Pour les FARDC, l’enjeu dépasse l’achat ponctuel de pièces d’artillerie : il s’agit de structurer, sur la durée, une relation industrielle capable d’accompagner la montée en gamme d’une armée appelée à sécuriser près de 2,4 millions de kilomètres carrés. Quant à l’Inde, elle verrait dans ce contrat la preuve que sa stratégie d’« opening the arsenal » peut perforer les marchés dominés par Pékin et Moscou. Le jeu, assurément, en vaut le coût politique.