Lobito, la nouvelle Route de Benguela : le rail qui fait saliver les stratèges

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Un pont terrestre convoité par les chancelleries

En moins d’un an, le Corridor de Lobito est passé du statut de vieux rêve colonial à celui de pièce maîtresse du grand jeu diplomatique africain. À Rome, le 20 juin 2025, l’Angola, l’Italie et la Commission européenne ont matérialisé un chèque de 320 millions d’euros pour prolonger la voie ferrée de Benguela jusqu’à la Zambie, tandis qu’un second enveloppe de 77 millions se concentre sur le capital humain et l’écotourisme. Derrière les invocations au développement durable, les diplomates voient surtout un pont terrestre qui relie, sur près de 1 300 kilomètres, l’Atlantique à l’hinterland minier du Copperbelt, avant de rejoindre l’océan Indien. Dans un contexte de résurgence des compétitions de puissance, disposer d’un corridor ferro-portuaire contrôlé par des partenaires amicaux vaut aujourd’hui autant qu’une base aérienne.

La logistique militaire au cœur du projet d’infrastructure

L’état-major angolais ne s’en cache pas : la réhabilitation de la ligne permettra au pays de projeter plus rapidement hommes et matériels vers ses frontières orientales, où les trafics d’armes et de diamants entretiennent des foyers d’instabilité. Pour les forces occidentales, la ligne offre une alternative à la mer Rouge, sous tension, et au canal de Suez, saturé. « Dans la planification d’une opération d’évacuation de ressortissants, disposer d’un itinéraire côtier-intérieur sécurisé change la donne », confie un officier logistique français détaché à Luanda. La Marine angolaise anticipe déjà l’augmentation du trafic dans la baie de Lobito et négocie l’acquisition de patrouilleurs côtiers supplémentaires auprès de chantiers italiens pour protéger le terminal minéralier.

Compétition des puissances pour les minerais stratégiques

Le copperbelt zambien et katangais recèle de cobalt, de cuivre et de germanium, trois minerais jugés critiques par l’Union européenne pour ses chaînes de fabrication d’armes guidées et de batteries militaires. Pékin contrôlait jusqu’ici l’essentiel de l’export via le port tanzanien de Dar es-Salaam. L’arrivée d’un débouché atlantique réduit la dépendance à la façade orientale et rééquilibre la négociation pour les compagnies occidentales. Washington l’a bien compris : la DFC américaine a déjà réservé 250 millions de dollars pour moderniser les tronçons zambiens, tandis qu’ENI lorgne sur les réserves de manganèse nécessaires aux aciers blindés. À Bruxelles, un diplomate reconnaît que « la disponibilité de cobalt non chinois conditionnera la prochaine génération de munitions intelligentes ».

Sécurisation du corridor : un défi policier et contre-insurrectionnel

Ni les raffineries, ni les wagons chargés de concentrés de cuivre ne franchiront la frontière sans une politique robuste de sûreté intérieure. Luanda a annoncé la création d’une Unité spéciale de protection des infrastructures critiques, forte de 3 000 gendarmes formés par la Guardia di Finanza. Les services de renseignement angolais, le SINSE, redoutent des sabotages orchestrés par des groupes armés présents dans l’ex-Katanga. Le déploiement de capteurs IoT sur les rails et de drones de surveillance Heron TP financés par Tel-Aviv illustre la fusion progressive entre sécurité publique et haute technologie militaire. Dans le même temps, l’UE finance des programmes de formation pour les polices ferroviaires régionales, préfigurant une coopération semblable à Frontex mais à l’échelle du SADC.

Vers une doctrine de projection africaine pour l’Angola

Le Corridor de Lobito sert enfin d’aiguillon doctrinal pour Luanda. Une note interne du ministère de la Défense évoque la création d’une composante « Rail Force » capable de transporter un bataillon mécanisé sur 800 kilomètres en 48 heures, adossée à un réseau de dépôts stratégiques. À terme, l’Angola entend offrir aux missions de l’Union africaine un hub logistique crédible, susceptible de soutenir des opérations de maintien de la paix du Sahel jusqu’au Mozambique. Alors que les chefs d’État-major du SADC se réuniront en septembre, la diplomatie angolaise mise sur le corridor pour plaider en faveur d’un commandement intégré des transports. Les signataires du Plan Mattei, eux, voient déjà plus loin : adosser au rail un câble numérique pour sécuriser les échanges de données classifiées et assurer la résilience cyber du dispositif. La voie ferrée devient alors, au-delà d’un simple trait d’union économique, l’ossature d’une architecture de défense régionale pensée à l’échelle des deux océans.

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