Une équation énergétique qui menace la sécurité nationale
Dans l’hémicycle du Sénat de Brazzaville, les mots du ministre des Hydrocarbures ont résonné comme un aveu stratégique : le déficit pétrolier congolais n’est plus un simple aléa conjoncturel, il pénètre le cœur de la souveraineté. Lorsque Bruno Jean Richard Itoua prévient que la pénurie relève d’un « déséquilibre économique, financier et structurel », il reconnaît de facto que la sécurité intérieure et la posture de défense du pays dépendent d’une chaîne logistique dont chaque maillon se révèle fragile. Or, sans kérosène dans les réservoirs des Antonov de transport, sans gazole pour les blindés des Forces armées congolaises (FAC), ni essence pour les patrouilles de la gendarmerie, la capacité de projection et de contrôle territorial s’amenuise dangereusement.
Stockage insuffisant : le talon d’Achille de la logistique militaire
La Société commune de logistique (SCLOG) ne dispose que de quelques jours de couverture, bien en-deçà des standards régionaux. Un officier de l’état-major, sollicité sous couvert d’anonymat, confie que « les FAC devraient pouvoir disposer d’au moins trente jours de réserves opérationnelles pour absorber un choc sécuritaire majeur ». Dans la réalité, les dépôts de Pointe-Noire ou d’Oyo atteignent rarement quinze jours, exposant la hiérarchie à l’obligation d’arbitrages douloureux entre missions intérieures et opérations extérieures sous mandat de la CEEAC. Ce déficit de profondeur logistique est aggravé par l’incapacité à constituer le stock stratégique légalement attribué à l’État, pourtant conçu pour garantir la continuité des services essentiels, militaires compris.
Chaîne de transport saturée : l’effet domino opérationnel
Les faiblesses du triptyque routier-ferroviaire-fluvial entraînent des délais incompatibles avec la planification d’opérations rapides. Lorsque les barges peinent à remonter le fleuve Congo durant la saison sèche ou que les convois routiers subissent des coupures dues à l’état des ponts, l’état-major doit composer avec un carburant qui arrive au compte-gouttes. Le général de brigade retraité François Mouandza rappelle que « les planificateurs militaires parlent de tempo ; or, un tempo dicté par la météo ou par la congestion des voies ferrées condamne toute initiative ». Ce goulot d’étranglement est d’autant plus préoccupant que la police et la protection civile, premières répondantes en cas de trouble urbain, dépendent des mêmes lots de carburant.
Mesures d’urgence : cautère sur jambe de bois ?
Pour endiguer la crise, le gouvernement mise sur une augmentation ponctuelle des importations et une montée en cadence de la raffinerie CORAF. Mais ces remèdes, au goût d’aspirine logistique, demeurent tributaires d’une trésorerie publique contrainte et des cours du brut volatils. Les FAC, elles, se voient imposer des économies : entraînements motorisés réduits, mutualisation des convois et recours accru aux simulations numériques. Un colonel du Bataillon blindé l’admet : « Nous compensons la baisse de carburant par plus de séances sous casques VR, mais rien ne remplace un exercice moteur en terrain réel. »
Réformes structurelles : l’oléoduc comme ligne de vie
Au-delà du rafistolage, le projet de nouvel oléoduc reliant le littoral aux hauts plateaux apparaît comme le chaînon logistique qui pourrait sécuriser simultanément marché civil et besoins militaires. Encore faut-il finaliser son financement mixte et arbitrer les appétits des opérateurs privés depuis que l’État a privatisé le secteur au début des années 2000. Les bailleurs, parmi lesquels le Fonds monétaire international, conditionnent leur appui à la fin du monopole d’importation et à la libéralisation tarifaire. Pour les uniformes, la question est moins idéologique que tactique : une tarification trop élevée menacerait le budget opérationnel déjà compressé.
Dimension régionale et coopération sécuritaire
La vulnérabilité congolaise résonne chez ses voisins. Le Cameroun, point d’entrée obligé de certains flux terrestres, s’inquiète pour la Mission de paix de la CEEAC en République centrafricaine, largement soutenue par le carburant congolais. De même, l’Angola observe de près l’équilibre énergétique de Brazzaville, redoutant qu’un affaissement logistique n’entraîne une recrudescence des trafics frontaliers. Dans ce contexte, la diplomatie pétrolière devient un instrument de sécurité collective. Des discussions informelles auraient déjà été entamées avec Luanda pour mutualiser des capacités de stockage et d’escorte de convois sensibles.
Entre souveraineté énergétique et préparation opérationnelle
Au-delà de la rhétorique, l’impératif est clair : la sécurité nationale repose sur la robustesse de la chaîne énergétique. Sans carburant, aucune force ne peut tenir un périmètre, aucun hélicoptère n’évacue un blessé et aucune brigade mobile n’assure la sécurité des scrutins à venir. L’État-major comme le ministère des Hydrocarbures plaident désormais pour un fonds d’accès universel aux produits pétroliers, adossé aux recettes du brut offshore, afin de blanchir le spectre d’une armée assignée à l’immobilité. Tant que ce fonds et les infrastructures promises demeurent au stade de chantier verbal, la question posée au Sénat conserve sa dimension stratégique : peut-on défendre un territoire quand les pompes, civiles et militaires, tournent à sec ?