PetroSA gâte sa PDG, la sécurité énergétique sud-africaine attendra

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Un trésorier d’État inquiet face aux comptes déficitaires

Les états financiers non publiés de PetroSA, consultés par plusieurs parlementaires sous couvert d’anonymat, laissent apparaître un déficit opérationnel dépassant les trois milliards de rands. Dans ce contexte, la proposition d’élever la rémunération annuelle de la directrice générale, Sesakho Magadla, à 5,6 millions de rands interroge le Trésor national. « Nous distribuons des chèques de bonus à bord d’un navire qui prend l’eau », confie un haut fonctionnaire des Finances. La comparaison maritime n’est pas anodine : la South African Navy dépend à près de 70 % du carburant fourni par PetroSA pour ses patrouilles côtières, principalement dans le canal du Mozambique où la piraterie demeure une menace latent.

Un chaînon énergétique stratégique pour la défense

Depuis la fermeture partielle des raffineries de Durban après l’incendie de 2020, le pays ne dispose plus que de capacités limitées d’affinage. PetroSA, à travers son terminal de Mossel Bay, est devenu le nœud logistique essentiel pour les stocks opérationnels de la South African National Defence Force. La moindre tension de trésorerie se répercute immédiatement sur les réserves de JP8, indispensable à l’aviation de transport C-130 et aux hélicoptères Oryx utilisés dans les opérations de maintien de la paix au Mozambique et en République centrafricaine. En autorisant une rémunération hors norme, le conseil d’administration prend donc le risque de détourner des ressources critiques déjà insuffisantes pour la reconstitution des stocks stratégiques.

Le signal brouillé envoyé aux partenaires africains

Sur le plan diplomatique, Pretoria s’efforce de promouvoir une initiative conjointe de sécurité énergétique au sein de la Communauté de développement d’Afrique australe. Les chancelleries régionales observent avec scepticisme la contradiction entre ce discours et la gestion interne de PetroSA. Un diplomate botswanais glisse à demi-mot que « l’Afrique du Sud prône la discipline budgétaire à Windhoek ou Lusaka, mais tolère des largesses salariales à Cape Town ». L’image de sérieux budgétaire, déjà écornée par les difficultés d’Eskom, se trouve de nouveau fragilisée, compliquant la recherche d’alliances pour sécuriser des stocks pétroliers mutualisés.

Risques pour la planification capacitaire des forces

Les états-majors planifient traditionnellement leurs exercices en fonction d’hypothèses de consommation fixées douze mois à l’avance. Or, le service du matériel de la SANDF reconnaît qu’il a déjà dû réduire de 18 % les heures de vol d’entraînement des Gripen faute d’allocation carburant. Une nouvelle contraction du budget de PetroSA, induite par des charges salariales supplémentaires, pourrait repousser la remise en disponibilité de bâtiments navals immobilisés à Simon’s Town. Le chef de la logistique, le général de division Lindile Yekiwe, avertit que « toute réduction non planifiée d’approvisionnement ferait glisser nos forces en dessous du seuil minimal d’aptitude opérationnelle ».

Gouvernance et responsabilité publique mises à l’épreuve

La Constitution sud-africaine impose aux entreprises publiques un devoir de prudence financière. Or, la dernière évaluation de la Commission pour le crédit et les risques place PetroSA en catégorie « haute vigilance ». Dans une note interne, le ministère de l’Énergie rappelle que l’enveloppe consacrée aux salaires a déjà progressé de 38 % sur cinq ans, sans corrélation avec la production qui, elle, a reculé d’un tiers. La rémunération projetée de Mme Magadla, bien qu’elle demeure inférieure à celle pratiquée par Saudi Aramco ou Sonangol, est jugée disproportionnée au regard du contexte national. Les observateurs y voient la résurgence d’une culture de privilège héritée des années de boom minier, peu compatible avec la rigueur désormais attendue par les bailleurs multilatéraux.

Quel redressement pour éviter l’asphyxie stratégique ?

Le comité interministériel sur la sécurité énergétique étudie plusieurs pistes, dont la mutualisation des achats de pétrole brut avec la Namibie, la réactivation d’un partenariat technique avec Petrobras et la conversion partielle de la flotte militaire au carburant synthétique produit par Sasol. Toutes supposent néanmoins que PetroSA stabilise rapidement sa trésorerie. Faute de quoi, les forces sud-africaines pourraient à moyen terme se trouver dépendantes d’importations spot, sensibles aux fluctuations géopolitiques et au risque de sanctions secondaires liées aux tensions actuelles dans le Golfe. En clair, la hausse de salaire accordée à la PDG, si elle n’est pas accompagnée d’un plan d’assainissement crédible, pourrait entraver la capacité de Pretoria à projeter sa puissance douce et dure dans la région.

Une décision symbolique pour l’avenir de la posture sud-africaine

Au-delà de la polémique budgétaire, l’affaire PetroSA incarne le dilemme récurrent entre gouvernance d’entreprise publique et impératif stratégique. Elle rappelle que la sécurité énergétique, invisible pour le grand public, constitue la colonne vertébrale de toute posture de défense crédible. L’Afrique du Sud, engagée dans des opérations multilatérales et désireuse de conserver son rôle de leader régional, ne peut se permettre un affaiblissement prolongé de ses infrastructures pétrolières. Si la hausse de rémunération est maintenue, elle devra s’accompagner d’une transparence exemplaire et de mesures d’efficience drastiques, sans quoi la controverse actuelle pourrait se muer en crise d’approvisionnement aux conséquences géopolitiques incalculables.

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