RDC 2024 : Cobalt, forêts et balles perdues, l’équation impossible de Kinshasa

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Sous la canopée du deuxième poumon vert mondial

Le 8 février 2024, à l’issue du sommet africain sur le climat organisé à Brazzaville, la délégation congolaise a réaffirmé sa volonté de monétiser le rôle écologique de la cuvette du Congo en réclamant un « prix de la préservation » indexé sur les marchés carbone volontaires (Reuters, 9 février 2024). Kinshasa entend transformer la forêt équatoriale, riche de 150 millions d’hectares, en levier diplomatique afin d’obtenir des financements climatiques tout en rééquilibrant une balance budgétaire exsangue.

Pourtant, dans les provinces de l’Équateur et de la Tshopo, des concessions forestières attribuées en janvier à des opérateurs chinois ont suscité la colère des ONG locales, qui dénoncent une dérive vers l’exploitation industrielle (Le Monde, 26 février 2024). L’exécutif congolais joue l’équilibriste entre urgences fiscales et engagements environnementaux, conscient que sa crédibilité auprès des bailleurs dépend d’une gestion durable de la biodiversité.

Un tissu social fracturé mais résilient

Selon les dernières données publiées par le Bureau conjoint des Nations unies aux droits de l’homme, le pays a franchi la barre des sept millions de déplacés internes début mars, un record historique alimenté par la recrudescence des affrontements au Nord-Kivu (ONU, 3 mars 2024). Dans ce contexte délétère, la tenue des examens de fin de cycle a pourtant été maintenue sur la quasi-totalité du territoire, prouesse organisationnelle saluée par l’UNESCO (11 mars 2024).

La démographie explosive – plus de cinq millions de naissances par an selon l’Institut national de la statistique – accentue la pression sur des infrastructures sanitaires déjà fragilisées par les épidémies récurrentes d’Ebola et de choléra. Les autorités peinent à déployer la couverture santé universelle promise lors de la campagne électorale de 2023, faute d’un cadre budgétaire stable.

Hydro-électricité et flux numériques : la tentation de l’accélération

Dans un décret signé le 14 janvier 2024, le gouvernement a validé le cadre financier du méga-barrage Inga III, ouvrant la voie à un consortium regroupant Meridiam, PowerChina et la Banque africaine de développement (Bloomberg, 18 février 2024). L’objectif public demeure de porter la capacité installée nationale à 10 GW d’ici 2030 afin d’alimenter à la fois l’industrie minière du Katanga et les mégapoles sud-africaines.

Parallèlement, la start-up congolaise OpenRDC a obtenu, le 20 février, une licence 5G pilote sur le corridor minier Kolwezi-Lubumbashi, signe d’une volonté d’intégrer la chaîne de valeur numérique à la transformation des métaux critiques (Jeune Afrique, 22 février 2024). Ces initiatives illustrent la course du pays à la modernisation, bien que les délestages chroniques rappellent la fragilité des réseaux existants.

Kinshasa entre réformes et crispations géopolitiques

Réinvesti le 20 janvier 2024, Félix Tshisekedi a reconduit la Première ministre Judith Suminwa Tuluka, première femme à ce poste, en lui confiant une feuille de route articulée autour de la « sécurité totale » et de la « valorisation locale des ressources » (Radio Okapi, 25 janvier 2024). Les chancelleries occidentales saluent la parité gouvernementale mais regrettent la lenteur de la réforme judiciaire, cruciale pour sécuriser l’investissement.

Sur le plan régional, la tension avec Kigali reste vive ; les autorités congolaises accusent le Rwanda de soutenir le M23, accusation renouvelée lors de la session extraordinaire de l’UA le 17 février 2024. Kigali rétorque que Kinshasa coopère avec les FDLR, groupe hostile au régime rwandais (RFI, 18 février 2024). La médiation angolaise patine, tandis que Washington envisage des sanctions qui cibleraient les responsables militaires impliqués dans le trafic de minerais de conflit (AFP, 1 mars 2024).

Nord-Kivu : l’enlisement militaire et le diplomate

Les combats qui ont repris autour de Saké fin février opposent les FARDC appuyées par les forces de la SADC à la rébellion du M23. Malgré le déploiement de drones tactiques remis par la Turquie en janvier, l’armée congolaise peine à reprendre le contrôle de la RN2 stratégique menant à Goma (Reuters, 29 février 2024).

La MONUSCO poursuit, pour sa part, son désengagement progressif ; la première base a été rétrocédée aux FARDC à Kamanyola le 6 mars, conformément au calendrier fixé par la résolution 2717 du Conseil de sécurité (ONU, 6 mars 2024). Plusieurs diplomates redoutent un « vide sécuritaire » susceptible de favoriser la prolifération des groupes armés, dont l’ADF affilié à l’État islamique, toujours actif dans l’Ituri.

Enjeux transnationaux : frontières poreuses et arbitrage climatique

La porosité des 10 700 kilomètres de frontières terrestres nourrit des trafics allant du coltan à l’ivoire. En février, Interpol a intercepté à Kasumbalesa une cargaison de 12 tonnes de cuivre dissimulée destinées à la contrebande zambienne, révélant l’ampleur des circuits illicites (Interpol, 28 février 2024).

Le 2 mars, la RDC a rejoint la plateforme africaine d’alerte précoce sur le terrorisme, épaulée par l’Union européenne, afin de consolider le partage de renseignements avec l’Ouganda et le Soudan du Sud. Cette adhésion illustre la conscience d’un danger transfrontalier qui dépasse le seul théâtre congolais et s’étend jusqu’au golfe d’Aden, où transitent les flux maritimes vitaux pour les exportations minières.

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