Un volume record qui consacre seize années de primat chinois
En annonçant à Accra un volume d’échanges de 134,16 milliards de dollars entre janvier et mai 2025, l’ambassadeur de Chine au Ghana, Tong Defa, a livré un symbole plus qu’un simple chiffre : Pékin consolide, pour la seizième année consécutive, sa position de premier partenaire commercial du continent. Les statistiques publiées simultanément par l’Administration générale des douanes chinoises font état d’une hausse de 12,4 % par rapport à la période équivalente de 2024 (Administration générale des douanes chinoises, communiqué du 17 juin 2025). Cette dynamique se nourrit à la fois d’une reprise post-pandémique de la demande chinoise en hydrocarbures et minerais stratégiques et d’un regain d’importations africaines de biens manufacturés, encouragé par la stabilisation du yuan depuis la fin de l’hiver.
Un déficit africain qui se creuse malgré la reprise partielle des cours
Le chiffre record masque une réalité moins flatteuse pour les capitales africaines : sur les cinq premiers mois de l’année, les exportations de la Chine vers l’Afrique ont bondi de 20,2 %, atteignant 83,51 milliards $. En face, les ventes africaines vers le géant asiatique ne progressent que de 1,6 %, soit 50,65 milliards $ (Reuters, 19 juin 2025). Le déficit, désormais de 32,86 milliards $, pèse sur les balances des paiements déjà fragilisées par la hausse du service de la dette. Même la remontée des prix du cuivre congolais et du pétrole nigérian depuis mars, portée par les tensions en mer Rouge, n’a pas suffi à inverser la tendance, tant la part des matières premières brutes – 83 % des exportations africaines vers la Chine selon le dernier rapport trimestriel d’Afreximbank (mai 2025) – demeure écrasante.
Concessions tarifaires chinoises : un geste politique plus qu’économique ?
Pékin revendique une stratégie corrective : depuis décembre 2024, 100 % des importations en provenance de 33 pays africains les moins avancés bénéficient d’un tarif douanier nul. Le ministère chinois du Commerce a indiqué le 3 juin 2025 envisager l’extension de cette mesure à tous les États africains entretenant des relations diplomatiques avec la Chine (Xinhua, 3 juin 2025). Les experts tempèrent cependant l’impact réel de ces exonérations. Pour Song Wei, chercheuse à l’Académie chinoise de coopération économique internationale jointe par visioconférence à l’université de Stellenbosch le 11 juin 2025, « les matières premières africaines étaient déjà faiblement taxées ; la frange de produits susceptibles de gagner en compétitivité reste limitée tant que l’appareil industriel africain demeure embryonnaire ».
Diversification africaine : la ZLECAf cherche encore son second souffle
L’entrée en phase opérationnelle de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) en janvier 2025 devait offrir un levier de transformation structurelle. Pourtant, les premiers chiffres de la Commission économique de l’Union africaine montrent que moins de 7 % des exportations intracommunautaires bénéficient à ce stade de ses facilités, un taux encore insuffisant pour réduire la dépendance vis-à-vis de la demande asiatique (CEUA, rapport du 6 juin 2025). Les industriels kényans du textile et les producteurs ghanéens de cacao transformé se félicitent certes d’une hausse de leurs commandes chinoises, mais la montée en gamme reste timide. Sans investissements massifs dans la logistique et la certification sanitaire, préviennent plusieurs ministres du Commerce réunis en marge du forum AfCFTA-Invest à Kigali le 13 juin 2025, le continent continuera de vendre « ce qu’il extrait » plutôt que « ce qu’il fabrique ».
Angle géopolitique : Washington en embuscade, Pékin tisse sa toile
La course à l’influence commerciale ne se joue pas en vase clos. Le 5 juin 2025, la Chambre des représentants américaine a adopté un projet de loi renouvelant pour dix ans l’African Growth and Opportunity Act, tout en conditionnant une partie de ses avantages à des clauses de gouvernance– une différenciation assumée face à l’approche dite « non intrusive » de Pékin. Dans ce contexte, l’annonce par la Banque mondiale, le 10 juin, d’une enveloppe de 3,2 milliards $ pour les corridors ferroviaires reliant Zambie, Tanzanie et RDC introduit un troisième acteur dans la compétition. Pour les diplomates africains interrogés lors du sommet de l’Union africaine à Malabo le 16 juin 2025, la marge de manœuvre consiste à arbitrer entre ces offres pour maximiser les transferts technologiques sans céder unilatéralement leur souveraineté réglementaire.
Vers un nouvel équilibre ? Lucidité stratégique et réformes endogènes
La trajectoire des prochains mois dépendra autant de facteurs exogènes – évolution de la croissance chinoise, intensité des rivalités sino-américaines – que de la capacité africaine à accélérer l’intégration de ses marchés. Le prochain Forum sur la coopération sino-africaine, prévu à Pékin en octobre 2025, devrait consacrer un volet entier à la promotion d’achats publics chinois de produits agro-alimentaires à haute valeur ajoutée, selon une note circulaire du ministère éthiopien des Affaires étrangères datée du 18 juin 2025. Mais, comme le rappelle l’économiste béninoise Dédé Ahouansou, « aucun régime de préférences ne remplacera la nécessité d’industrialiser localement ». Tant que cette révolution productive reste inachevée, la performance commerciale record masque une dépendance stratégique appelée à nourrir les débats diplomatiques sur le continent.