Riz indien contre influence chinoise : New Delhi ravitaille la stratégique Douala

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L’aide humanitaire, vecteur de puissance douce et de sécurité régionale

La cérémonie organisée au port autonome de Douala, en présence du ministre camerounais de l’Administration territoriale et du haut-commissaire indien, dépasse la simple charité interétatique. New Delhi actionne ici le registre de la puissance douce, instrumentant l’assistance humanitaire comme un levier de crédibilité sécuritaire. Dans une Afrique centrale soucieuse de diversifier ses partenariats militaires – longtemps dominés par Paris, Moscou et plus récemment Pékin – la visibilité accordée au drapeau indien devient un message d’autonomie stratégique. Comme le confiait un diplomate indien en marge de l’événement, « l’aide alimentaire est souvent l’amorce d’une coopération navale et de partage de renseignement maritime ».

Une logistique civil-militaire mise à l’épreuve sur le port de Douala

Le déchargement de trente-neuf conteneurs constitue un exercice grandeur nature pour la chaîne logistique camerounaise, mêlant administration civile, génie militaire et sociétés privées de manutention. Les autorités ont insisté sur le délai de quarante-huit heures pour acheminer le riz, les médicaments et les tentes vers les régions sinistrées. Cette cadence, inhabituelle pour un port encombré, servira de banc d’essai à la cellule de coordination des opérations de secours, structure hybride associant officiers des forces terrestres et cadres de la protection civile. Douala, point d’entrée stratégique des importations militaires du pays, affine ainsi sa capacité à traiter simultanément fret humanitaire et équipements de défense.

La vulnérabilité alimentaire, talon d’Achille stratégique camerounais

Avec une production rizicole domestique couvrant à peine un cinquième des besoins nationaux, la dépendance extérieure du Cameroun devient un facteur de fragilité sécuritaire. Les services de renseignement intérieur estiment que l’inflation du sac de riz alimente le ressentiment dans les zones anglophones en crise et complique les opérations de stabilisation dans l’Extrême-Nord. En 2024, la facture d’importation a bondi à 318,5 milliards de FCFA, drainant des devises au détriment du budget de défense. L’arrivée de riz subventionné par New Delhi offre un répit, mais rappelle l’urgence d’un plan rizicole national articulant recherche agronomique, sécurisation foncière et protection des bassins irrigués contre les incursions de groupes armés.

New Delhi, de la pharmacie à la frégate : panorama de la coopération de défense

L’opération humanitaire s’inscrit dans une séquence plus large de rapprochement sécuritaire indo-camerounais. Depuis 2022, des officiers camerounais fréquentent le Defence Services Staff College de Wellington, tandis que la marine indienne mène des patrouilles de familiarisation dans le golfe de Guinée. Les médicaments livrés aujourd’hui proviennent pour partie d’usines pharmaceutiques duales capables, le cas échéant, de soutenir des déploiements médicaux militaires. Au ministère camerounais de la Défense, l’on évoque discrètement la possible acquisition de drones de surveillance indiens de type Garuda, adaptés à la lutte contre la piraterie et le braconnage halieutique.

Perspectives : vers une architecture de résilience afro-indo-pacifique

L’envoi de 1 000 tonnes de riz ne saurait masquer la dimension stratégique de cette séquence diplomatique. New Delhi, soucieuse de sécuriser ses voies d’approvisionnement énergétique depuis le golfe de Guinée, teste un modèle d’engagement gradué combinant aide humanitaire, coopération navale et transfert de savoir-faire agricole. Yaoundé, en quête d’alternatives technologiques face à l’appétit chinois, trouve dans le partenaire indien une puissance non occidentale ouverte au partage d’expérience antiterroriste dans des conditions financières moins onéreuses que les standards occidentaux. La récurrence des catastrophes climatiques, facteur de déstabilisation sociale, pourrait ainsi devenir le catalyseur d’une nouvelle architecture de résilience commune, articulant sécurité alimentaire, défense côtière et diplomatie scientifique.

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