Sénégal : déficit en apnée, dette en escalade et pétrole sauveur, pari risqué

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Les comptes publics à l’épreuve d’une dette galopante

À la fin du premier trimestre 2024, le Trésor sénégalais affichait un encours de dette publique de 12 500 milliards de francs CFA, soit 76 % du PIB selon la Direction générale de la planification (Ministère des Finances, 8 mai 2024). Le seul service de la dette externe et domestique a progressé de 44,5 % sur un an au quatrième trimestre 2023 et de 24 % supplémentaires sur le premier trimestre 2024, pour atteindre 822,3 milliards de francs CFA. Les recettes fiscales, elles, plafonnent à 1 027,8 milliards — à peine 21,4 % de l’objectif annuel — tandis que les dépenses courantes et d’investissement s’élèvent déjà à 1 419,4 milliards. Cette dynamique creuse un déficit primaire structurel, d’autant plus aigu que les dons budgétaires ont fondu de 71,5 % en un an, pénalisés par le ralentissement de l’aide publique au développement post-pandémie.

Pression bancaire domestique et vulnérabilité des marchés

Près des deux tiers de l’encours obligataire et des facilités de trésorerie sont logés dans les bilans des banques commerciales locales, une concentration qui expose le système financier national à un risque de sinistralité souveraine. Le reliquat recouvre un empilement d’arriérés opérationnels : subventions non versées au secteur énergétique, dettes vis-à-vis des cimentiers et factures impayées dans les BTP qui excédaient 300 milliards de francs CFA fin mars, selon l’Association professionnelle des banques et établissements financiers (rapport interne, 22 avril 2024). La raréfaction des euro-obligations en Afrique de l’Ouest — aucune émission sénégalaise n’a trouvé preneur depuis décembre 2022 — laisse aux créanciers domestiques le rôle de financeurs en dernier ressort, accroissant la corrélation négative entre stabilité bancaire et trajectoire budgétaire.

Reprise du dialogue avec le FMI : conditions et lignes rouges

Suspendu depuis décembre 2023 après des « irrégularités statistiques », le programme de Facilité élargie de crédit est de retour sur la table. Une mission du Fonds a séjourné à Dakar du 29 avril au 9 mai 2024 et a salué des « progrès vers plus de transparence budgétaire », tout en pointant un besoin de financement de 1,8 % du PIB à combler avant fin 2024 (FMI, communiqué du 10 mai 2024). Les discussions portent sur trois volets : la rationalisation des subventions aux hydrocarbures — 146 milliards d’arriérés fin 2023 —, l’élargissement de l’assiette fiscale via la TVA numérique et la limitation des avances statutaires de la BCEAO. Dakar promet de ramener le déficit sous 3 % du PIB en 2027, mais les experts du Fonds conditionnent un décaissement de 380 millions de dollars à la clôture effective des comptes publics 2023, toujours en cours d’audit.

Hydrocarbures : une manne différée encore pleine d’incertitudes

Le pari gouvernemental repose sur le démarrage simultané, fin juin 2024, du champ pétrolier offshore Sangomar, opéré par Woodside Energy, et sur la mise en production du gisement de gaz Grand Tortue Ahmeyim avec BP en décembre 2024. Selon le ministre du Pétrole, ces projets devraient hisser la croissance à 8,8 % en 2025 et générer l’équivalent de 1,2 milliard de dollars de recettes fiscales annuelles (conférence de presse, 5 juin 2024). Toutefois, Woodside a reconnu des « défis techniques liés à la chaîne d’approvisionnement » qui pourraient reporter la première cargaison au troisième trimestre (Reuters, 12 juin 2024). Parallèlement, BP a averti que l’inflation des coûts de plate-forme majore l’investissement initial de 10 %, rognant d’autant les futurs dividendes de l’État (Bloomberg, 6 mai 2024). Ces aléas alimentent le scepticisme des agences de notation : Standard & Poor’s a maintenu la perspective « négative » sur la note B+ du Sénégal, citant l’incertitude sur le calendrier pétrolier (S&P Global, 31 mai 2024).

Quel scénario de soutenabilité pour la prochaine décennie ?

En supposant une montée en puissance graduelle des hydrocarbures, le ratio dette/PIB pourrait reculer à 60 % en 2028, projette la Banque mondiale, à condition que le solde primaire non pétrolier s’améliore de 1,5 point de PIB par an (note économique, 21 mai 2024). Mais toute dérive des dépenses courantes ou tout retard supplémentaire sur Sangomar renverrait la courbe au-delà du seuil de 70 %, réputé critique dans l’Union économique et monétaire ouest-africaine. Les créanciers internationaux surveillent également le risque d’un choc électoral : la nouvelle administration de Bassirou Diomaye Faye, investie le 2 avril 2024, a promis une revalorisation salariale dans la fonction publique et l’élargissement de la gratuité des soins primaires, initiatives évaluées à 150 milliards de francs CFA par an par l’Inspection générale des finances. Sans arbitrage, ces engagements absorberaient un quart des recettes pétrolières à venir.

Rétablir la crédibilité budgétaire, impératif diplomatique régional

Si Dakar parvient à conclure un nouveau programme triennal avec le FMI dès juillet, il renforcerait son rôle pivot dans l’UEMOA, où plusieurs membres — Côte d’Ivoire, Bénin, Togo — ont déjà rétabli l’accès aux marchés internationaux au premier semestre 2024. À l’inverse, un enlisement fragiliserait la position de négociation collective de l’espace communautaire face aux créanciers privés. Comme le résume un diplomate de la BCEAO, « la première barrique de Sangomar sera aussi une barrique de crédibilité pour toute la région » (entretien, Dakar, 14 juin 2024).

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