Sommet USA-Afrique : l’appel angolais aux capitaux américains pour la défense

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Luanda, nouveau carrefour des ambitions sécuritaires américano-africaines

En conviant à Luanda une délégation étoffée de cadres du Département du commerce et de responsables du Pentagone, le président angolais João Manuel Gonçalves Lourenço a fait d’un sommet économique un véritable forum de sécurité. Il a rappelé que la stabilité politique de l’Afrique australe dépend désormais d’investissements capables de garantir la souveraineté alimentaire, mais aussi de renforcer des forces armées sollicitées par des crises transfrontalières récurrentes, du Canal de Mozambique au Kasaï. L’angle défensif, soigneusement distillé dans un discours présenté comme purement « business », n’a échappé à aucun diplomate présent.

Des corridors logistiques convoités pour les troupes autant que pour le commerce

João Lourenço a insisté sur la création de « corridors logistiques plus fonctionnels ». Derrière cette formule figure le projet transafricain Lobito–Dar-es-Salaam, cofinancé par la Banque mondiale, qui offrirait aux pays enclavés – notamment la Zambie et la RDC – un accès maritime plus sûr que le Golfe de Guinée miné par la piraterie. Pour Washington, ces axes ferrés et portuaires constituent autant de voies de projection rapide pour des contingents africains ou internationaux engagés dans les missions de maintien de la paix. Un conseiller du Commandement américain pour l’Afrique confie en aparté que « tout dollar investi dans l’infrastructure réduit le coût futur d’une éventuelle intervention ».

Technologies duales : l’agro-industrie comme porte d’entrée vers le matériel de défense

Le chef de l’État angolais a présenté les 60 millions d’hectares de terres arables comme un laboratoire agro-industriel à même d’absorber l’expertise des équipementiers américains. Mais les engins agricoles, les drones de semi-précision pour l’arpentage ou l’irrigation et les réseaux de données qui les relient relèvent de technologies duales, utilisables pour la surveillance frontalière et la cartographie tactique. L’administration Biden voit dans ces marchés civils l’opportunité de placer des chaînes logistiques certifiées ITAR tout en limitant la concurrence chinoise, très agressive sur les offres « clé en main » de télécommunication sécurisée.

Angola : un client crédible pour l’industrie de l’armement américaine

Longtemps approvisionnée par Moscou, l’Angola modernise progressivement ses forces en se tournant vers des plateformes occidentales. La rénovation des Sukhoi Su-30 par Israel Aerospace Industries a ouvert la voie à des acquisitions plus diversifiées. Lockheed Martin se dit prêt à proposer des hélicoptères UH-60V adaptés aux opérations de lutte anti-braconnage dans l’Okavango, tandis que General Dynamics a récemment livré un prototype de véhicule blindé léger pour des tests conjoints. Luanda cherche ainsi à équilibrer ses partenariats et à bénéficier de programmes de formation intégrés, pierre angulaire de la nouvelle diplomatie sécuritaire américaine.

Renseignement et cybersécurité : l’autre face des « règles communes » évoquées

Lorsque le président angolais réclame des « règles communes facilitant la mobilité des capitaux », il ouvre aussi la porte à une interopérabilité normative en matière de données stratégiques. Le ministère angolais de l’Intérieur prépare, avec l’aide de Microsoft et du cabinet Booz Allen, un cadre de partage d’information sur les menaces cyber ; Washington y voit un levier pour contrer les incitations russes à employer les services du groupe Wagner dans la protection des sites miniers. Selon un diplomate européen, « l’harmonisation juridique vantée par Luanda pourrait à terme conforter un Cloud souverain africain sous standards occidentaux ».

Une diplomatie de la base arrière : l’Afrique comme réservoir de forces

Dans les couloirs du Centre de conférences de Talatona, plusieurs officiers angolais ont souligné qu’une jeunesse démographiquement dynamique sert aussi de réservoir potentiel pour les missions de l’Union africaine. Washington, qui a besoin de partenaires régionaux robustes pour déléguer une partie du fardeau sécuritaire, réfléchit déjà à financer des centres d’entraînement au standard OTAN à Benguela et Huambo. Les discussions informelles laissent entrevoir des coopérations tripartites incluant le Portugal pour la formation linguistique et doctrinale.

Vers un pacte civilo-militaire win-win, sous étroite surveillance diplomatique

Ainsi s’esquisse un pacte où capitaux américains et exigences sécuritaires africaines convergent. Angola, mais aussi Botswana, Namibie et RDC, entendent mutualiser leurs atouts miniers et énergétiques pour négocier des offsets industriels touchant aussi bien aux centrales solaires qu’aux patrouilleurs fluviaux. La Maison-Blanche, soucieuse de ne pas apparaître comme un fournisseur d’armes sans contrepartie sociétale, mise sur la formule « Power Africa plus Peace Africa ». Reste que l’équilibre délicat entre développement et militarisation sera scruté par l’Union européenne et l’ONU, garantes d’une gouvernance transparente.

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