Touadéra hors de l’hôpital : Bangui respire, la sécurité reste sous perfusion

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Une sortie d’hôpital sous haute protection présidentielle

À l’aube du 24 juin, un convoi discret, mêlant berlines blindées, véhicules tout-terrain des Forces armées centrafricaines (FACA) et pick-up arborant l’étoile rouge des instructeurs russes, s’est ébranlé en direction du palais de la Renaissance. Faustin-Archange Touadéra, tout juste libéré de quatre jours d’observation médicale, a tenu à contrôler lui-même la mise en scène de son retour. Les rues adjacentes avaient été bouclées dans la nuit et la cellule de coordination de la garde présidentielle, épaulée par une dizaine d’opérateurs russes, avait reçu l’ordre de n’autoriser aucun téléphone portable à moins de cent mètres du cortège. La scène, savamment chorégraphiée, rappelle que dans la capitale centrafricaine la santé du chef de l’État est d’abord une question d’ordre public.

Santé du chef de l’État : conséquences stratégiques pour l’appareil sécuritaire

Depuis la dernière tentative de putsch de janvier 2021, la sûreté de la présidence est considérée par l’état-major comme le maillon essentiel de la stabilité institutionnelle. L’hospitalisation éclair du président, même bénigne, a donc été traitée par les services de renseignement intérieur comme un risque systémique. « Quatre jours sans visibilité sur la chaîne de commandement, c’est une éternité dans un pays où la moitié du territoire échappe encore à l’autorité de Bangui », confie, sous couvert d’anonymat, un officier de la Section des recherches et d’investigation (SRI). Le ministre de la Sécurité publique a, de fait, activé un protocole d’urgence : centralisation du renseignement au sein de la direction générale, suspension des permissions dans la garde républicaine et renforcement des patrouilles mixtes FACA-MINUSCA autour des sites stratégiques.

Gardes rapprochées : Russes, Rwandais et FACA en équilibre instable

Le retour de Touadéra met en lumière la coexistence délicate de trois cercles de protection. Premier cercle, le Service de sécurité présidentielle, officiellement composé de cent cinquante soldats triés sur le volet, mais dont près d’un tiers sont des contractuels russes issus de l’ex-groupe Wagner. Second cercle, un contingent rwandais de la MINUSCA, jugé plus neutre par la communauté internationale, mais aux prérogatives strictement périphériques. Troisième cercle, les FACA, encore sous-dotées et à la discipline aléatoire, chargées de filtrer la population. Cette pluralité d’acteurs crée une dépendance qui, à chaque alerte médicale du président, ravive les questions de souveraineté et d’allégeance.

Bangui sous tension : risques d’opportunisme rebelle

Si la capitale a retrouvé son trafic chaotique dès la mi-journée, les couloirs feutrés de la primature bruissaient encore, mardi soir, de rumeurs d’incursions rebelles dans les préfectures de la Nana-Grébizi et de l’Ouham-Pendé. Selon un rapport interne du Centre opérationnel interarmées, trois colonnes du Mouvement patriotique pour la Centrafrique auraient profité de la vacance symbolique du pouvoir pour tester les postes avancés de l’armée. « Ces micro-offensives servent surtout à jauger la réactivité de Bangui », analyse un expert régional de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire. Leur caractère limité n’en demeure pas moins un rappel brutal : la santé du chef de l’État reste inversement proportionnelle à l’audace des groupes armés.

Dimension diplomatique : un leadership indispensable au dialogue régional

Au-delà des considérations militaires, l’aphonie provisoire du président a suspendu un agenda diplomatique déjà dense. L’Élysée attendait une réponse à son offre d’assistance médicale, tandis que Kigali plaidait pour une extension du mandat de sa force de protection. Dans la sous-région, les chefs d’État de la CEEAC voient en Touadéra le pivot de la future feuille de route pour la réintégration du Tchad dans les dispositifs de sécurité transfrontaliers. Sa convalescence, même courte, a donc exacerbé une inquiétude partagée dans les chancelleries : l’absence d’alternative institutionnelle claire en cas de vacance définitive du pouvoir. « Le vide centrafriquain se remplit toujours par la périphérie », rappelait récemment un diplomate camerounais.

Projection opérationnelle : réorganisation annoncée de l’état-major présidentiel

Selon nos informations, la présidence envisage d’officialiser dans les prochains jours une réforme de son état-major particulier. Le projet, rédigé avant l’hospitalisation mais accéléré par celle-ci, prévoit la création d’une direction médicale intégrée, dotée d’un hélicoptère sanitaire et pilotée par un colonel cardiologue formé à Saint-Pétersbourg. Elle comprend également la fusion des services de renseignement de la garde avec la direction générale de la SRI afin de réduire les délais de remontée d’information. Reste la question sensible du contrôle des contractuels russes : le texte exigerait qu’un officier centrafricain cosigne désormais chaque ordre opérationnel relevant de la protection rapprochée. Un compromis fragile, destiné à rassurer la population sans vexer un partenaire sécuritaire devenu incontournable.

Perspectives : stabilisation politique et dépendances sécuritaires

En sortie d’hôpital, Faustin-Archange Touadéra a lancé, d’une voix encore éraillée, un appel au « travail collectif pour la paix ». Le message vise autant les bailleurs internationaux que les unités qui veillent sur sa personne. Nul doute que la normalisation de son rythme de travail rassurera la population de Bangui, lasse des faux bruits de coup d’État. Pour autant, l’épisode rappelle crûment que la sécurité de la Centrafrique reste adossée à un équilibre précaire entre acteurs locaux sous-équipés et alliés étrangers aux intérêts parfois divergents. Là réside le véritable pronostic vital du pays.

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