Un anniversaire stratégique à Brazzaville
En conviant, le 17 juillet, l’ensemble du corps diplomatique au 98ᵉ anniversaire de l’Armée populaire de libération, l’ambassadrice An Qing a moins célébré une date commémorative qu’esquissé la matrice d’un partenariat militaire en pleine montée en puissance. La présence du ministre congolais de la Défense nationale, le général Charles Richard Mondjo, en qualité de représentant du gouvernement, a donné un signal clair : Brazzaville entend hisser le volet sécuritaire au rang de pilier majeur de la relation bilatérale. Cette mise en scène diplomatique, adossée à un cérémonial précis, renvoie au choix fait par les deux capitales d’inscrire leur coopération dans la durée, loin des fluctuations conjoncturelles.
Des projets d’infrastructures à double usage
Dans son allocution, An Qing a cité, en exemple des succès tangibles, les tours jumelles de la Cité gouvernementale, le nouveau siège du ministère des Affaires étrangères ou encore le Palais du Parlement. S’il s’agit d’ouvrages civils, leur valeur symbolique dans la production d’un capital de résilience étatique n’échappe à personne. À Brazzaville, certains analystes rappellent qu’une diplomatie d’influence efficace passe toujours par le bétonnage d’outils institutionnels. La Chine, premier partenaire commercial du Congo, couple donc ses investissements économiques à la consolidation logistique de l’appareil d’État, créant un continuum sécurité-développement qui intéresse au plus haut point la Grande Muette congolaise.
Un partenariat sécuritaire tissé de formations croisées
L’énoncé, par l’ambassadrice, des visites d’état-major congolaises en Chine et de la venue à deux reprises du navire-hôpital Arche de la Paix illustre la stratégie dite « des pas concrets » chère à Pékin. Ici, l’assistance sanitaire ne relève pas de l’humanitaire ponctuel ; elle participe d’une diplomatie de défense capable de générer de la confiance stratégique. Plusieurs officiers supérieurs congolais ayant suivi les cycles de l’Université nationale de défense de Pékin notent que « l’approche chinoise mélange souci pratique et transfert doctrinal sans ingérence idéologique visible ». Cet échange de savoir-faire se double d’un apport capacitaire, notamment dans les domaines de la médecine militaire, de l’ingénierie du génie et, plus récemment, de la cybersécurité.
FOCAC : une coprésidence pour élargir le spectre militaire
La circonstance n’a rien d’anecdotique : la prise de fonction d’An Qing coïncide avec la coprésidence congolaise du Forum sur la coopération sino-africaine. Or, depuis le sommet de Beijing en 2018, le FOCAC inclut dans sa feuille de route un volet « Peace and Security » explicitement dédié au renforcement des capacités militaires africaines. Pour Brazzaville, assumer la coprésidence revient à peser sur les allocations financières affectées aux programmes de formation, de maintien de la paix et de lutte contre les menaces transfrontalières. À huis clos, des diplomates congolais confient voir dans cette visibilité multilaterale une occasion d’obtenir, à terme, des équipements de surveillance fluviale aptes à sécuriser le couloir logistique du fleuve Congo.
Vers une doctrine de sécurité commune et durable
En évoquant la « communauté d’avenir partagé pour l’humanité », l’ambassadrice s’inscrit dans la rhétorique défendue par le Livre blanc chinois de 2019 sur la défense nationale. Brazzaville, de son côté, promeut une lecture pragmatique : toute vision globale n’a de sens que si elle renforce la stabilité intérieure et la protection des infrastructures critiques, pétrole en tête. La récente Déclaration conjointe sur le partenariat économique pour le développement partagé, première du genre sur le continent, fournit une architecture juridique capable d’arrimer l’effort militaire aux flux d’investissement. Les juristes du ministère congolais de la Défense soulignent que ce texte ouvre la voie à des contrats de maintenance à long terme pour les équipements acquis auprès d’industriels chinois.
Regards prospectifs sur la diplomatie de défense
Les signaux convergent : l’armée congolaise, en quête de modernisation, trouve dans la coopération chinoise un levier à la fois financier et doctrinal. Pékin y gagne une profondeur géostratégique au cœur du Golfe de Guinée, arc logistique essentiel pour ses approvisionnements énergétiques. Reste le défi de la soutenabilité budgétaire et de la compatibilité technologique, pointés par certains experts. « La vraie mesure du succès, avance un haut responsable congolais, sera notre capacité à intégrer les plateformes chinoises à nos systèmes existants sans créer de dépendance excessive. » À l’heure où Denis Sassou Nguesso place la sécurité au service du développement, cette interface sino-congolaise pourrait bien constituer un laboratoire régional d’une diplomatie de défense équilibrée, tournée vers la prévention des conflits plutôt que la projection de puissance.