Kintélé, carrefour tactique de la cybersécurité en Afrique centrale
Le centre de conférences de Kintélé, habituellement réservé aux grands rendez-vous diplomatiques, s’est transformé en poste de commandement numérique à l’occasion de la treizième édition du Cyberdrill régional. Sous l’égide du Premier ministre Anatole Collinet Makosso, la cérémonie d’ouverture a souligné la dimension stratégique de l’événement : tester la résilience collective face à une menace virtuelle devenue, au fil des années, aussi tangible qu’un risque cinétique. Au-delà du simple exercice technique, l’initiative s’inscrit dans la continuité des orientations du président Denis Sassou Nguesso visant à faire du Congo l’un des pôles de stabilité numérique du Golfe de Guinée.
Résilience des infrastructures critiques : la nouvelle ligne Maginot numérique
Durant quatre jours, agences de cybersécurité, forces de police judiciaire et commandements techniques ont simulé des attaques sur les réseaux de télécommunications, les plateformes financières et les systèmes d’alimentation électrique. L’objectif est double : éprouver la capacité de détection précoce et mesurer la vitesse de rétablissement des services essentiels. À l’issue des premières manœuvres, un consultant européen présent dans la salle d’analyse confiait que « la coordination congolaise se révèle remarquablement fluide, particulièrement dans la chaîne décisionnelle entre civils et militaires ». Ces exercices constituent un laboratoire dont les enseignements nourriront la mise à jour du Plan national de protection des infrastructures critiques, document confidentiel mais central dans la doctrine de défense du pays.
L’ANSSI congolaise, pivot d’une souveraineté numérique durable
Le vice-Amiral Jean Dominique Okemba, secrétaire général du Conseil national de sécurité, a rappelé que la création, en 2019, de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information n’était pas un simple effet d’annonce. Dotée depuis 2023 d’un centre d’alerte opérationnel H24, l’ANSSI constitue désormais le point nodal de la remontée d’information au profit des autorités politiques. Sa montée en puissance se vérifie non seulement dans la gestion d’incidents, mais aussi dans la phase amont de dissuasion, à travers des audits réguliers menés auprès des opérateurs dits d’importance vitale. L’agence ne se contente plus de recommander ; elle homologue, surveille et, lorsque cela s’avère nécessaire, coordonne des contre-mesures à même de neutraliser les vecteurs d’attaque avant qu’ils ne perturbent la vie économique ou sociale.
Un marché illicite de 9500 milliards de dollars : l’Afrique face à l’économie de la menace
Les chiffres avancés par le ministre Léon Juste Ibombo glaçent par leur ampleur : une cyberattaque toutes les 39 secondes à l’échelle mondiale, un coût global estimé à 9500 milliards de dollars en 2025 et une progression annuelle de plus de 90 % des incidents en Afrique. Pour les armées et forces de sécurité de la sous-région, ces statistiques se traduisent par la nécessité d’allouer des ressources jusque-là dévolues à la logistique traditionnelle au profit des capacités SIGINT et des centres de fusion du renseignement cyber. Le Congo, dont la connectivité s’appuie sur plusieurs câbles sous-marins, doit protéger une dorsale critique à la fois pour son économie pétrolière et pour ses échanges financiers. L’intégration, dès le second semestre 2025, d’outils d’analyse comportementale alimentés par l’intelligence artificielle témoigne d’une volonté d’anticipation plutôt que de réaction.
Une doctrine africaine émergente, entre universalité des normes et spécificités régionales
Le Cyberdrill ne se limite pas à la seule évaluation technique ; il esquisse les contours d’une doctrine africaine susceptible d’épouser les standards internationaux tout en tenant compte des réalités locales. « Il nous faut un cadre juridique harmonisé, mais adaptable aux contraintes budgétaires et sociétales de chaque État », plaide un expert camerounais cité dans les travaux préparatoires. Dans cette perspective, Brazzaville propose la création d’un réseau d’alertes inter-opérationnelles, arrimé au Computer Incident Response Team (CIRT) régional, afin de mutualiser les indicateurs de compromission en temps quasi réel. Cette approche collégiale renforce la crédibilité diplomatique du Congo, souvent sollicité pour son rôle de médiateur dans les crises régionales.
Synergie civilo-militaire : vers une défense proportionnée mais concertée
En clôture, le Premier ministre a insisté sur l’impératif d’une continuité stratégique entre forces armées, services de renseignement et secteur privé. Un cyberespace sûr ne saurait, selon lui, reposer uniquement sur l’appareil régalien ; il nécessite l’engagement des opérateurs de téléphonie, des banques et, plus largement, de l’ensemble des usagers. Cette approche globale, parfois qualifiée de whole-of-nation, conforte la vision présidentielle d’un Congo où la transformation numérique se conjugue avec la sécurité. Les premières synthèses du Cyberdrill 2025 semblent confirmer que la menace, si elle demeure évolutive, trouve désormais en Afrique centrale un adversaire plus structuré, résolu à défendre le cyberespace avec la même vigueur que ses frontières physiques.