Identité numérique : bouclier ou pass VIP ?

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Cap digital et souveraineté sécuritaire

À Brazzaville, l’ouverture de l’atelier national « Vers une identité numérique inclusive et sécurisée » a confirmé que la modernisation de l’état civil n’est plus un simple projet administratif. Sous la houlette du préfet Bonsang Oko-Letchaud, représentant le ministre Raymond Zéphyrin Mboulou, l’événement a clairement placé la biométrie au cœur de la défense de la souveraineté. Dans un contexte régional marqué par des flux transfrontaliers intenses, disposer d’un registre d’identité fiable devient un préalable à toute stratégie de sécurisation des frontières, de lutte contre les trafics et de protection civile.

Le message, adossé à la vision du président Denis Sassou Nguesso, est limpide : l’identité numérique sert de bouclier informationnel. « Nous ouvrons un chantier éminemment politico-sécuritaire », insiste le préfet. Cette déclaration consacre la migration du dossier du seul ministère de l’Intérieur vers la sphère interministérielle Défense-Affaires étrangères, où l’identité devient un outil de projection de puissance douce, gage de confiance pour les investisseurs et de coopération renforcée avec les agences internationales.

Un levier stratégique pour la jeunesse et la cohésion nationale

Derrière la modernisation technique, le gouvernement vise la cohésion interne. Offrir un numéro identifiant unique à chaque citoyen, en particulier aux 70 % de Congolais âgés de moins de trente ans, revient à conférer l’existence juridique préalable à l’accès à l’éducation, aux soins et au marché du travail. L’exécutif assume ainsi une doctrine : un citoyen enregistré est un citoyen sécurisé, moins vulnérable aux recrutements criminels et plus facilement mobilisable dans des politiques publiques de défense passive.

Le lien entre jeunesse, citoyenneté et sécurité est explicite. Consacrant 2024 « année de la jeunesse », le chef de l’État place l’appropriation du numérique au rang d’engagement civique. L’identité biométrique fournit aux forces de sécurité une cartographie démographique fine, précieuse pour calibrer les campagnes de prévention de la radicalisation ou le déploiement des réserves opérationnelles.

Biométrie et renseignement : vers une police 3.0

La vitrine technologique de l’atelier est la suite logicielle Evidence and Investigation de Thales. Grâce à la reconnaissance d’empreintes et de visages, l’outil promet d’unifier la police technique et scientifique sur l’ensemble du territoire, un vieux défi dans un pays de 342 000 km² où l’interopérabilité des bases de données restait inégale. À terme, un enquêteur de pointe-Pointe pourra confronter un prélèvement recueilli dans la Sangha avec les fichiers de Brazzaville en temps quasi réel.

Pour les services de renseignement intérieur, la valeur ajoutée réside dans la collation instantanée d’identités multiples – l’un des angles morts des précédentes cartes nationales. « La biométrie ferme la porte aux faux noms, ouvre celle de la traçabilité judiciaire », confie un officier du Bureau central national d’Interpol à Brazzaville. La chaîne pénale s’en trouve consolidée : un dossier numérique scellé par une signature cryptographique devient preuve en audience, réduisant les causes de nullité et, partant, le sentiment d’impunité.

Interopérabilité régionale contre les menaces transfrontalières

La CEEAC ambitionne de relier les systèmes d’état civil de ses États membres. Le projet congolais, soutenu par la Banque mondiale, anticipe déjà les normes de l’Organisation de l’aviation civile internationale et les protocoles de partage de données sécurisées. Cela permettra, demain, à un poste frontière de Mbinda de vérifier simultanément un passeport, un permis biométrique et un permis de port d’arme, limitant l’effet de porosité que recherchent les réseaux illicites.

À l’heure où le bassin du Congo observe la remontée de flux d’armes légères venues du Sahel, chaque identifiant devient un maillon de la traçabilité. En définissant l’identité numérique comme « impératif de justice », le gouvernement lie explicitement droits humains et contre-terrorisme : un contrôle d’identité bien mené évite la stigmatisation collective et affine le ciblage sécuritaire.

Chaîne de commandement et gouvernance numérique

Le chantier n’échappe pas aux questions de commandement. La Direction générale de l’administration du territoire jouera la tour de contrôle, mais l’hébergement des données au sein du futur centre national de données, supervisé par l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, confère au ministère délégué à la Défense un rôle de garant cyber. Cette répartition préfigure un modèle de gouvernance où civils et militaires partagent la custodie des actifs stratégiques.

Sur le plan juridique, un comité interministériel travaille à l’ordonnance sur la protection des données personnelles, afin d’inscrire la collecte biométrique dans un cadre conforme aux standards africains de Malabo. Là encore, la crédibilité internationale du Congo en matière de droits numériques devient un atout diplomatique, permettant d’élargir la coopération avec l’Union européenne sur les programmes d’assistance sécuritaire.

Vers une souveraineté algorithmique maîtrisée

L’atelier de Brazzaville n’est qu’une étape, mais il marque une inflexion : passer d’une administration dématérialisée à un État data-centré. La souveraineté ne se mesure plus seulement aux stocks d’armes, elle s’évalue à la capacité de vérifier qui est qui, en ligne comme sur le terrain. Dans cette approche, l’identité numérique devient simultanément rempart et couloir : rempart contre l’usurpation, couloir vers un service public 24 h/24.

Au-delà du discours, la feuille de route opérationnelle prévoit le déploiement des premiers terminaux biométriques dans les commissariats pilotes avant fin 2025. Si l’échéance est tenue, le Congo-Brazzaville pourrait se positionner en chef de file d’une Afrique centrale dotée d’outils d’investigation fondés sur la preuve numérique. « Nous avons l’opportunité de poser les fondations d’une identité unifiée, inclusive et souveraine », résume Bonsang Oko-Letchaud. Le pari est lancé ; il engage tout autant la défense nationale que la confiance des citoyens.

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