Le Caire-Brazzaville, une discrète alliance musclée

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Un héritage diplomatique né des indépendances

À l’heure où l’Égypte célèbre le soixante-treizième anniversaire de la révolution du 23 juillet 1952, Brazzaville se souvient que c’est dans la ferveur postindépendance des années 1960 que s’est noué l’un des fils les plus solides de sa diplomatie : l’axe congolais-égyptien. Les échanges d’ambassades, alors embryonnaires, se sont rapidement doublés d’une coopération militaire inscrite dans les principes de souveraineté prônés par Nasser et, plus tard, consolidée par les différents mandats du président Denis Sassou Nguesso. En six décennies, les deux capitales ont appris à conjuguer ambitions de non-alignés et recherche de garanties sécuritaires dans un environnement international mouvant.

Formation militaire conjointe et transfert de compétences

La voix de l’ambassadrice Imane Yakout, le 18 juillet dernier à Brazzaville, a mis en exergue le rôle cardinal joué par l’Agence égyptienne de partenariat pour le développement. Plusieurs dizaines d’officiers congolais sortent chaque année des académies du Caire, aguerris tant au commandement interarmes qu’aux techniques de cyberdéfense. « La formation reste le pivot le plus visible de notre coopération », confie un colonel congolais de retour de l’Académie Nasser, rappelant que les stages organisés sur les rives du Nil déploient un spectre complet, de la lutte antiterroriste au secours en zone inondée, compétence précieuse sur les rives parfois capricieuses du fleuve Congo.

Coopération sécuritaire face aux menaces transfrontalières

Dans la zone CEEAC, les flux d’armes légères, les trafics de faune et le repli ponctuel de groupes armés issus du bassin sahélien obligent les services de renseignement congolais et égyptiens à densifier leurs échanges. Le Caire, fort d’une longue expérience du contre-terrorisme au Sinaï, partage méthodologies d’analyse et retour d’expérience sur la surveillance satellitaire des frontières désertiques. Brazzaville, de son côté, offre un relais clé dans la surveillance fluviale des couloirs logistiques informels qui serpentent du golfe de Guinée aux Grands Lacs. Des officiers des Services généraux congolais participent désormais aux cellules d’alerte coordonnées depuis l’état-major stratégique égyptien, signe tangible d’une interopérabilité régionale grandissante.

Industriels de défense à l’heure de la diversification

L’agenda économique porté par l’Égypte, axé sur la diversification et la transition verte dans le cadre de la Vision 2030, n’ignore pas le secteur de la défense. Les manufactures de blindés légers d’Alexandrie et les chaînes de production de drones tactiques de la zone économique du canal de Suez cherchent de nouveaux débouchés africains. Pour les Forces armées congolaises, qui modernisent leur parc roulant et expérimentent la captation d’imagerie par drones pour la cartographie forestière, le savoir-faire égyptien représente une alternative complémentaire aux fournisseurs traditionnels russes et chinois. Des pourparlers avancés incluent l’installation d’une unité d’entretien mixte à Pointe-Noire, gage de création d’emplois locaux et de réactivité logistique.

Synergies énergétiques et enjeux nucléaires

Le projet de centrale nucléaire d’El-Dabaa, construit avec une technologie russe mais ouvert à des partenariats africains, retient l’attention de Brazzaville, engagé lui-même dans une réflexion sur la diversification de son mix énergétique. Si le Congo dispose d’un potentiel hydroélectrique conséquent, les délestages périodiques rappellent l’intérêt d’une coopération scientifique sur le nucléaire civil. Des ingénieurs congolais ont d’ores et déjà intégré les cycles de formation de l’Autorité égyptienne de l’énergie atomique, tandis qu’au ministère congolais de la Recherche scientifique, l’on évoque la perspective d’un laboratoire commun dédié à la sûreté radiologique, assise indispensable à toute future ambition de petite centrale modulaire sur le sol congolais.

Convergence diplomatique sur le climat et la sécurité

Présente dans les négociations climatiques depuis la COP27 de Charm el-Cheikh, l’Égypte soutient la création d’un fonds pertes et dommages destiné aux États les plus exposés aux catastrophes. Brazzaville, à la tête de la Commission du Bassin du Congo, se trouve en première ligne pour capter ces financements, notamment afin de renforcer la résilience des populations riveraines du deuxième poumon vert mondial. Cette solidarité climatique nourrit un discours sécuritaire commun : la déforestation et l’instabilité rurale ne sont pas seulement des enjeux environnementaux, mais aussi des vecteurs potentiels de criminalité et de recrutement insurgé.

Perspectives stratégiques d’un partenariat résilient

Au lendemain des célébrations nationales égyptiennes, les chancelleries bruissent d’une même conclusion : l’axe Le Caire-Brazzaville est entré dans une maturité opérationnelle. Pour Denis Sassou Nguesso, il s’agit d’un levier supplémentaire d’équilibre dans un échiquier sécuritaire africain marqué par la fragmentation des alliances. Pour le président Abdel Fattah al-Sissi, le Congo offre la profondeur stratégique d’un État stable au cœur de l’Afrique centrale, essentiel à la projection de ses ambitions industrielles et diplomatiques. Les prochains mois seront rythmés par la finalisation d’un accord-cadre de défense et par l’arrivée annoncée d’un attaché naval égyptien permanent à Brazzaville, signe que la discrétion historique de l’alliance cède progressivement la place à une visibilité assumée.

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