Le Caire et Brazzaville: stratèges complices en uniforme

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Une convergence héritée des indépendances

Lorsque Le Caire reconnut la République du Congo en 1960, les deux capitales partageaient déjà une intuition : la stabilité politique du Bassin du Congo et la sécurité du corridor nilotique sont intimement liées. L’entente diplomatique nouée alors s’est d’abord illustrée par l’accueil de jeunes officiers congolais dans les acadèmies militaires égyptiennes, tandis que Brazzaville ouvrait la voie à une présence discrète de conseillers égyptiens dans l’infanterie de marine congolaise. Plus de soixante ans plus tard, le socle reste solide. « Nos forces armées parlent désormais un langage tactique commun », confie un colonel congolais formé à l’Académie Nasser en 1998.

La diplomatie de la formation, pivot du dialogue stratégique

Au-delà du folklore protocolaire, l’Agence égyptienne de partenariat pour le développement a pris, ces dix dernières années, des allures de véritable état-major académique pour les cadres congolais. Les stages de perfectionnement au déminage, à la lutte anti-drone ou au franchissement du Nil offrent aux jeunes officiers de Brazzaville un laboratoire à ciel ouvert. Depuis 2015, plus de 430 stagiaires congolais, tous corps confondus, ont transité par Le Caire, chiffre confirmé par l’ambassadrice Imane Yakout. Cette diplomatie de la compétence renforce chez les militaires congolais une culture opérationnelle compatible avec les standards de maintien de la paix que les deux pays défendent au sein de l’Union africaine.

Renseignement fluvial et sahélien : des capteurs partagés

Si la coopération se voit dans les amphithéâtres, elle se murmure surtout dans les centres de renseignement. Brazzaville demeure un poste d’observation avancé pour qui veut suivre les dynamiques armées le long du couloir Ouesso-Bangui. Le Caire, pour sa part, concentre ses capteurs sur le Sinaï et le théâtre libyen. Depuis 2022, un protocole confidentiel d’échange d’imagerie satellitaire et de données SIGINT permet aux analystes congolais d’accéder à des clichés haute résolution du Sud-Soudan et du lac Albert, tandis que les Égyptiens profitent des stations d’écoute fluviale congolaises testées initialement contre les trafics sur le fleuve Congo. Jean-Claude Gakosso, sans entrer dans les détails, évoque « un partage d’alertes sécuritaires gagnant-gagnant ».

Industries de défense : un marché d’opportunités croisées

Le redéploiement industriel inauguré par la Vision Égypte 2030 offre à Brazzaville une fenêtre inédite pour moderniser son parc d’équipements tout en diversifiant ses fournisseurs. Les négociations en cours portent sur l’acquisition de patrouilleurs légers fabriqués à Alexandrie Shipyard, adaptés à la surveillance du Pool Malebo et de l’embouchure du Kouilou. En parallèle, le Congo propose au fabricant égyptien Abu Zaabal Fertilizers d’implanter une ligne d’assemblage de munitions de petit calibre dans la zone économique spéciale de Pointe-Noire, objectif assumé d’autonomie stratégique régionale. Selon un responsable congolais de l’armement, cette coopération industrielle « transformerait notre dépendance logistique en partenariat de coproduction ».

Maintien de la paix et exercices conjoints, un agenda chargé

Sur le plan opérationnel, les deux états-majors se sont engagés à inscrire leurs unités dans de nouveaux exercices conjoints. Un détachement d’infanterie mécanisée égyptien devrait participer en 2025 à la manœuvre congo-angolaise Kimongo, tandis que la garde républicaine congolaise enverra un peloton blindé au désert occidental pour l’exercice Bright Star. Ces échanges offriront aux soldats congolais un entraînement en climat aride, utile pour la projection éventuelle d’un bataillon au sein de la Force africaine en attente.

Soft power et influence sécuritaire au sein de l’Union africaine

La densité de la relation va au-delà des canons et des radars. Brazzaville et Le Caire plaident de concert pour la création d’un mécanisme financier africain dédié aux « opérations de paix vertes », concept défendu par l’Égypte lors de la COP27 et repris par le Congo dans son plan Climat-Défense. Cette convergence offre aux deux présidences une visibilité accrue auprès des bailleurs internationaux, tout en consolidant leur image de pourvoyeurs de stabilité. Un diplomate européen en poste à Addis-Abeba observe que « l’axe Congo-Égypte pèse désormais sur l’ingénierie normative de l’Union africaine », notamment dans la rédaction des cadres de conformité des sociétés militaires privées.

Vers un pacte sécuritaire africain à géométrie variable

La dynamique bilatérale s’inscrit dans un moment continental marqué par la montée en puissance de partenariats de défense Sud-Sud. Dans ce concert, Brazzaville profite de la profondeur stratégique égyptienne, tandis qu’elle fournit à son partenaire une crédibilité fluviale et forestière que Le Caire ne possède pas. Observateurs et attachés de défense s’accordent : la relation reste asymétrique, mais elle est pensée comme une interdépendance assumée. La diplomatie congolaise y gagne un multiplicateur d’influence et l’armée congolaise un accélérateur capacitaire.

Un horizon commun, entre résilience et modernisation

À l’heure où les financements internationaux scrutent l’empreinte carbone des forces armées, Le Caire et Brazzaville travaillent déjà à la mutualisation de solutions énergétiques tactiques bas-carbone. L’installation de micro-centrales solaires sur les postes de contrôle le long de la route nationale 2 et l’expérimentation, en Égypte, de carburants synthétiques pour blindés légers pourraient constituer les jalons d’une défense africaine durable. Comme le résume un général congolais en charge de la planification : « Notre coopération avec l’Égypte revisite l’alliance classique pour y injecter la modernité. »

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