Brazzaville sur la ligne de front diplomatique
Lorsque Denis Sassou-Nguesso s’adresse, le 24 juillet, au Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine réuni par visioconférence, la tonalité est grave. « La spirale d’instabilité qui mine la Libye menace l’équilibre de tout notre continent », alerte-t-il, rappelant que l’enjeu dépasse la simple rivalité de milices à Tripoli. Depuis quatorze ans, le président congolais préside le Comité de haut niveau de l’UA sur la Libye, une instance à la fois diplomatique et sécuritaire dont Brazzaville assure la coordination technique, en étroite liaison avec les états-majors ougandais et algérien. Le dispositif illustre la doctrine congolaise : prévenir hors de ses frontières les foyers d’insécurité susceptibles de déstabiliser l’Afrique centrale.
La Charte de réconciliation, fusée porteuse de stabilité
Au cœur de la feuille de route figure la Charte de réconciliation inter-libyenne dont la signature est annoncée pour le 14 février 2025 à Addis-Abeba. Élaboré sous l’égide du Comité de haut niveau, le document n’est pas qu’un artefact diplomatique ; il constitue le socle d’une future architecture de sécurité libyenne. Il prévoit la fusion graduelle des brigades locales dans une force unifiée, un audit des arsenaux et la création d’un conseil militaire mixte associant le gouvernement d’union nationale, le commandement de l’Armée nationale libyenne et des représentants tribaux. « Nous voulons que la réforme du secteur de la sécurité ne soit pas dictée par l’extérieur mais conçue par les Libyens eux-mêmes », insiste le ministre congolais de la Défense, Charles Richard Mondjo, qui a dépêché à Tripoli une mission d’experts en désarmement.
Les retombées sécuritaires pour la bande sahélo-saharienne
Les combats de mai 2024 entre la 44ᵉ brigade d’infanterie et les Forces de soutien à la stabilité ont illustré la porosité des frontières libyennes. Armes légères, engins explosifs improvisés et véhicules blindés d’états majeurs disparus circulent vers le Sahel. Au Centre d’analyse stratégique de l’armée congolaise, les analystes estiment que 35 % des explosifs saisis au nord du Tchad proviennent des stocks libyens. Une stabilisation durable de Tripoli réduirait donc la pression sur le bassin tchadien et, par ricochet, sur la zone CEEAC dont Brazzaville assume la présidence tournante du Conseil de sécurité. « La sécurité intérieure congolaise se joue aussi dans les sables de Syrte », confie un officier supérieur impliqué dans le suivi du renseignement transfrontalier.
La coopération défense UA-Congo, un levier discret
Derrière les caméras, Brazzaville mobilise ses réseaux militaires. Depuis 2021, une cellule conjointe renseignement-planification regroupe officiers congolais, nigérians et sud-africains. Sa mission : cartographier les chaînes d’approvisionnement des groupes armés libyens. Les services congolais s’appuient également sur l’École supérieure de guerre de Kintele, où sont formés des officiers libyens sélectionnés sur des critères de neutralité politique. Cette diplomatie de la formation renforce la confiance mutuelle et prépare le terrain à une éventuelle mission d’assistance militaire de l’UA après 2025.
Les chancelleries africaines face à l’échéance de 2025
À Kampala, le président ougandais Yoweri Museveni, actuel président en exercice du Conseil de paix et de sécurité, appelle à « un alignement sans faille » des capitales africaines pour sécuriser la signature de février 2025. Mohamed El Menfi, chef du Conseil présidentiel libyen, plaide de son côté pour un renforcement du mandat de l’UA afin que celle-ci puisse déployer, si nécessaire, une force de stabilisation dotée d’une composante aérienne. L’hypothèse, étudiée à Addis-Abeba, nécessiterait l’engagement logistique de pays francophones du Golfe de Guinée, dont le Congo. « Le rôle de nos partenaires de Brazzaville sera crucial pour assurer la soutenabilité financière et politique d’un tel dispositif », reconnaît un diplomate éthiopien.
Vers un continuum défense-diplomatie
En consolidant le lien entre résolution politique et mécanismes de sécurité collective, Denis Sassou-Nguesso entend pérenniser un modèle d’engagement africain autonome, fondé sur la prévention stratégique plutôt que sur l’interventionnisme exogène. La perspective de la Charte de réconciliation offre un calendrier clair, tout en rappelant, selon les mots du chef de l’État congolais, que « la paix ne se décrète pas ; elle se construit pas à pas, fusil déchargé et plume à la main ». Sur le théâtre libyen comme dans les couloirs feutrés de la diplomatie, Brazzaville poursuit donc un objectif constant : garantir que la stabilité sécuritaire de la Méditerranée ne se fasse pas sans la voix, ni l’expertise, de l’Afrique centrale.