Mer et fleuves, nouveaux fronts : Congo et Maroc hissent la même voile

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Bâtir une architecture maritime partagée

À Brazzaville, la récente audience accordée par le secrétaire permanent du Comité interministériel de l’action de l’État en mer et dans les eaux continentales, Éric Olivier Sébastien Dibas-Franck, au chargé d’affaires du Maroc, Ahmmed Agargi, marque un tournant discret mais décisif dans l’agenda sécuritaire sous-régional. Les deux diplomates ont rappelé qu’en Afrique centrale comme au Maghreb, la maîtrise des espaces maritimes ne relève plus du seul domaine économique ; elle constitue désormais un paramètre sine qua non de stabilité intérieure et d’influence extérieure.

Ces échanges s’inscrivent dans le prolongement de l’accord de coopération maritime signé le 23 février 2010 et réactivent la perspective d’une commission mixte chargée de le suivre. Derrière la technicité apparente, c’est bien l’édification d’une architecture navale commune qui se profile : partage de doctrine, interopérabilité des centres de surveillance et disponibilité de plates-formes de projection le long des 3 500 kilomètres de côtes marocaines ou sur le corridor fluvial Pointe-Noire-Kinshasa. Autrement dit, un continuum sécuritaire du détroit de Gibraltar aux méandres du fleuve Congo.

Le capital humain, pivot de la montée en puissance

« La formation du capital humain demeure notre première ligne de défense », a insisté le diplomate marocain au sortir de l’entretien, soulignant l’expertise de son pays en matière de recherche océanographique et d’ingénierie navale. Rabat propose d’ouvrir ses écoles de la Marine royale et ses instituts de météorologie aux officiers congolais, tandis que Brazzaville envisage de dépêcher ses jeunes pilotes fluviaux sur les simulateurs de navigation marocains. L’initiative s’inscrit dans la vision présidentielle d’une professionnalisation accélérée des forces congolaises, déjà perceptible dans le récent plan de recrutement ciblé au sein des bataillons de fusiliers marins.

Sur le terrain, les bénéfices opérationnels sont immédiats. Des instructeurs marocains accompagnent les techniciens congolais dans la maintenance de radars côtiers de nouvelle génération installés à Pointe-Noire, tandis qu’un détachement d’élèves officiers venus de l’École navale de Salé effectue, depuis le mois dernier, un stage d’immersion sur les patrouilleurs fluviaux de la Force publique. Cette circulation des savoirs, adossée aux standards de l’Organisation maritime internationale, dote Brazzaville d’une profondeur stratégique qu’elle n’aurait pu acquérir seule dans un laps de temps aussi réduit.

Dissuader la piraterie, sécuriser le corridor fluvial

Dans le golfe de Guinée, la piraterie a reculé de 60 % entre 2021 et 2023 selon les statistiques du Centre interrégional de coordination de Yaoundé, mais l’Atlantique demeure la zone la plus affectée du globe. Les autorités congolaises entendent donc s’adosser à l’expérience marocaine de lutte contre la contrebande dans le détroit de Gibraltar pour perfectionner la collecte de renseignement, l’anticipation et l’intervention armée en haute mer. La récente dotation d’hélicoptères Panther modernisés par les ateliers de Kénitra offre à la Marine congolaise une capacité d’arraisonnement aéro-naval jusque-là inédite.

À l’intérieur des terres, le fleuve Congo reçoit une attention identique. La navigation fluviale, essentielle à l’approvisionnement des capitales brazzavilloise et kinoise, se heurte aux trafics illicites et aux épisodes d’hydrologie extrême liés au changement climatique. En fournissant des drones bathymétriques de dernière génération, les experts marocains contribuent au relevé topographique du lit du fleuve et, ce faisant, à la sécurisation des convois civils escortés par les forces fluviales congolaises.

Le Fonds Bleu, levier diplomatique et climatique

Au-delà de la dimension sécuritaire, cette coopération nourrit la diplomatie climatique du Congo. Le Fonds Bleu pour le Bassin du Congo, proposé par le président Denis Sassou N’Guesso et acté en 2017 à Oyo, constitue un instrument financier et normatif de premier plan pour intégrer les enjeux environnementaux aux politiques de défense. La signature, en 2018 à Rabat, d’un mémorandum d’entente entre la Commission climat du Bassin du Congo et le centre 4C Maroc a renforcé la crédibilité scientifique de cette démarche.

Dans ce cadre, les programmes conjoints de reboisement de mangroves, de surveillance satellitaire des estuaires et de gestion des sédiments servent un double objectif : neutraliser les facteurs d’insécurité environnementale et offrir aux marines locales des théâtres d’opération stabilisés. L’armée congolaise inscrit désormais la préservation des écosystèmes côtiers dans son concept d’opérations, rejoignant ainsi les meilleures pratiques évoquées lors du Sommet africain de l’action à Marrakech.

Perspectives géopolitiques et impératifs de souveraineté

Pour Brazzaville, l’intérêt de cette dynamique repose sur une logique d’équilibre. En diversifiant ses partenariats au-delà des acteurs traditionnels d’Asie ou d’Europe, le Congo consolide son autonomie stratégique tout en normalisant des procédures compatibles avec celles de l’Union africaine et de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale. Le Maroc, de son côté, consolide sa profondeur africaine et renforce son statut de pourvoyeur de sécurité au Sud du Sahara.

La commission mixte, dont l’installation est imminente, devra néanmoins transformer ces orientations politiques en protocoles opérationnels mesurables : exercices conjoints, accès réciproque aux ports, échange en temps réel de données AIS et fusion de surveillance radar. Autant de chantiers qui illustrent la volonté des deux capitales de défendre la souveraineté des États sans céder à la tentation d’une militarisation excessive des côtes. L’équation paraît délicate, mais, comme le confiait récemment un officier supérieur congolais, « la meilleure frontière reste celle que l’on maîtrise avec ses partenaires, non contre eux ».

Dans un environnement régional marqué par la compétition des routes maritimes et des câbles sous-marins, la synergie Congo-Maroc propose ainsi un modèle de coopération équilibrée : suffisamment robuste pour dissuader les menaces émergentes, suffisamment souple pour préserver la liberté de navigation indispensable au développement économique du continent.

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