Un héritage post-indépendance devenu matrice sécuritaire
Alors que l’Égypte célébrait le soixante-treizième anniversaire de la révolution du 23 juillet 1952, l’ambassadrice Imane Yakout a rappelé, à Brazzaville, la profondeur d’un compagnonnage forgé dès le lendemain de l’indépendance congolaise en 1960. Au-delà des affinités politiques nées du mouvement des non-alignés, l’axe s’est cristallisé autour de la souveraineté et de la consolidation des jeunes armées africaines. Les premières délégations congolaises reçues au Caire, dans les années soixante, portaient déjà un agenda double : moderniser les forces de défense et apprendre les subtilités du renseignement extérieur. Cet héritage façonne toujours la doctrine congolaise de coopération, marquée par la recherche d’équilibres régionaux plutôt que par la confrontation.
La formation, pilier discret de la montée en puissance congolaise
Au cœur de la relation bilatérale, la formation constitue un multiplicateur de puissance rarement commenté publiquement. Sous l’égide de l’Agence égyptienne de partenariat pour le développement, plus de quatre-cents officiers, ingénieurs et policiers congolais ont, en dix ans, fréquenté les écoles de l’état-major égyptien, les centres de lutte antiterroriste de Nasr City ou l’Académie de police d’El-Moqattam. Ces séjours, d’une durée moyenne de six mois, produisent un capital humain stratégique. À Brazzaville, on souligne que les cadres formés au Caire maîtrisent des savoir-faire difficiles à acquérir ailleurs : cartographie satellitaire appliquée aux opérations intérieures, sécurisation de grands événements, mais aussi logistique dans les milieux désertiques – compétence utile pour les contingents congolais déployés sous mandat onusien au Sahel.
Le ministère congolais de la Défense évalue que 17 % de ses officiers supérieurs ont suivi au moins un module en Égypte. L’impact se mesure également dans la police nationale : les unités d’intervention rapide, créées en 2019, revendiquent une filiation méthodologique avec les cours reçus au Caire, notamment en matière de gestion proportionnée de la foule.
Synergies industrielles : du nucléaire civil à la logistique militaire
La future centrale d’El-Dabaa, construite avec l’expertise russe, illustre l’ambition égyptienne de se hisser au rang de fournisseur régional d’énergie. Brazzaville explore déjà, avec le ministère égyptien de l’Électricité, des schémas de formation croisée pour sécuriser l’environnement nucléaire, domaine où la composante militaire – sûreté périmétrique et cyberdéfense – sera cruciale. Un groupe d’ingénieurs congolais doit rejoindre Alexandrie en octobre pour se former à la protection des systèmes industriels critiques. Ce transfert de compétences intéresse l’état-major, conscient que la sécurisation des infrastructures énergétiques futures, notamment le barrage de Sounda ou l’oléoduc Pointe-Noire-Kinshasa, passera par des standards élevés en matière de détection et d’intervention.
Parallèlement, le port égyptien d’El Alamein ambitionne de devenir une plaque tournante pour le fret militaire africain. Des pourparlers sont en cours pour réserver des créneaux de maintenance aux aéronefs de transport congolais, afin de réduire la dépendance envers les ateliers européens. L’arrimage industriel transcende donc la symbolique, ouvrant la voie à une autonomie opérationnelle accrue pour les forces congolaises.
Diplomatie climatique : sécurité et stabilité comme dénominateur commun
L’engagement de l’Égypte pour la création d’un fonds consacré aux pertes et dommages liés aux catastrophes climatiques, acté lors de la COP27 à Charm el-Cheikh, résonne avec les priorités du Congo, qui préside la Commission climat du Bassin du Congo. Les deux capitales s’entendent sur un axiome simple : sans résilience environnementale, il n’est point de sécurité durable. Les inondations récurrentes à Brazzaville et les tempêtes de sable qui fragilisent le delta du Nil démontrent une vulnérabilité partagée. À ce titre, un protocole d’échange d’imagerie satellitaire entre l’Agence spatiale égyptienne et le Centre national de cartographie et de télédétection du Congo est en phase de finalisation. Il permettra de croiser données hydrologiques et alertes précoces, un apport direct pour la protection civile comme pour la planification militaire en zone fluviale.
La diplomatie climatique devient ainsi un vecteur d’influence, où Brazzaville et Le Caire valorisent une approche de sécurité humaine : prévenir les chocs environnementaux, afin d’éviter leur translation en menaces transfrontalières.
Projection de stabilité et rôle de médiateur régional
Le Caire, fort de son expérience dans la médiation israélo-palestinienne, offre un modèle pragmatique que Brazzaville observe avec attention. En 2021, le Congo avait déjà apporté un appui discret aux négociations de cessez-le-feu en République centrafricaine, confirmant sa vocation de facilitateur. Les officiers congolais formés en Égypte ont intégré les outils de la diplomatie militaire, qu’il s’agisse de sécuriser un couloir humanitaire au Soudan ou de structurer la coordination civilo-militaire dans le bassin du Lac Tchad. « Notre partenariat avec Le Caire nous donne une épaisseur stratégique nouvelle », confiait récemment un cadre du ministère congolais des Affaires étrangères, valorisant « l’écoute mutuelle et la recherche de solutions africaines aux défis africains ».
Ainsi, l’axe Congo-Égypte illustre une approche graduelle : d’abord consolider la formation et l’équipement, ensuite déployer une diplomatie sécuritaire crédible. Un schéma qu’encourage la présidence congolaise, souhaitant maintenir l’équilibre entre impératifs de défense nationale et contribution à la stabilité continentale.
Regards prospectifs sur la décennie 2024-2034
À l’horizon 2030, la Vision Égypte 2030 croise les objectifs du Plan national de développement congolais. Les deux pays pourraient codévelopper des drones de surveillance fluviale, segment technologique où l’industrie égyptienne affiche déjà des prototypes adaptés aux milieux tropicaux. De même, la police congolaise envisage d’intégrer, dans la réforme en cours, une composante de cybersécurité structurée avec le soutien du centre CERT d’Alexandrie. Enfin, la récente adhésion du Congo à la Coalition pour l’énergie verte offre un terrain supplémentaire de convergence avec un partenaire égyptien engagé dans la diversification énergétique.
À mesure que Brazzaville renforce ses capacités et que Le Caire affine son rôle de pivot arabo-africain, la complémentarité des deux États pourrait bien devenir un marqueur de la nouvelle architecture de sécurité du continent. Ni alliance formelle, ni dépendance univoque : une équation d’intérêts réciproques où la souveraineté demeure la boussole commune.