Poèmes et képis : soft power congolais

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Mémoire militaire et soft power congolais

Le 15 juillet, à l’ombre des manguiers du quartier Plateau des 15 ans de Brazzaville, l’association des Anciens enfants de troupe a inauguré son premier café littéraire en célébrant les écrits du général de brigade Claude Emmanuel Eta-Onka, disparu le 25 décembre 2024. Derrière la convivialité des lectures publiques se déployait un véritable acte de diplomatie culturelle : réaffirmer que la plume peut servir la même finalité que l’épée, celle de défendre la nation et de la faire rayonner. Au moment où de nombreuses chancelleries redoublent d’attention sur le rôle du “soft power” en Afrique centrale, ce rendez-vous a rappelé que le Congo-Brazzaville n’entend pas laisser en friche son patrimoine immatériel de défense.

Un héritage littéraire au service de la cohésion des forces

Au cœur des interventions, l’Aet Serge Eugène Ghoma Boubanga a retracé la genèse d’une vocation. Dès 1973, Eta-Onka remportait le prix de poésie du dixième anniversaire de la Révolution congolaise, prémices d’une trajectoire où l’uniforme n’a jamais entravé la sensibilité. Cinq recueils de poèmes, mais aussi des nouvelles et des essais, évoquent la vie de caserne, l’endurance sportive et l’attachement au terroir. En revisitant cet imaginaire, les Aet réaffirment que la littérature contribue à forger l’esprit de corps ; elle irrigue la résilience psychologique des troupes, facilite la transmission des valeurs et nourrit ce ciment intangible qu’est la fraternité d’armes. Dans les écoles militaires modernes, les modules de leadership incluent désormais des lectures commentées d’œuvres littéraires ; le rappel de l’apport d’Eta-Onka s’inscrit donc dans une démarche doctrinale contemporaine.

Littérature et doctrine : vecteurs d’influence stratégique

Qu’un officier supérieur se fasse nouvelliste ne relève pas d’une coquetterie intellectuelle ; c’est un choix de posture stratégique. Dans le recueil « Tandaliennes », analysé par l’essayiste Jessy Loemba, Eta-Onka adopte la langue vili pour signifier son ouverture au pluralisme ethnolinguistique du pays. Cette flexibilité linguistique, transposable à l’art opératif, enseigne que l’adaptation reste la clef du succès militaire. Les attachés de défense présents dans la salle ont d’ailleurs relevé la pertinence de ce message pour les opérations conjointes menées au sein de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale. Au-delà du texte, c’est la capacité d’un État à projeter une image de modernité inclusive qui se forge, consolidant la crédibilité des forces congolaises dans les cadres multinationaux.

Vers une bibliodiversité défensive nationale

La raréfaction des titres d’Eta-Onka chez les libraires brazzavillois a interpellé les participants. Le professeur Kadima Nzouzi, conseiller à la culture du Président de la République, a invité l’assemblée à dresser un inventaire des auteurs militaires congolais et à impulser un programme de réédition. L’enjeu dépasse la simple patrimonialisation ; il s’agit de maintenir une bibliothèque de référence susceptible d’alimenter la formation initiale et continue des forces. Dans un contexte où la guerre cognitive s’intensifie, disposer d’ouvrages domestiques véhiculant un récit national maîtrisé constitue un avantage comparatif face aux influences informationnelles extérieures. Plusieurs éditeurs spécialisés dans la littérature de défense, présents discrètement dans l’assistance, ont déjà manifesté leur intérêt pour des coéditions, ce qui placerait le livre congolais sur les rayons francophones d’Afrique australe et de la zone Cémac.

Le rôle catalyseur des Aet dans la diplomatie culturelle

Depuis leur première promotion à l’École préparatoire général Leclerc, les Aet se sont imposés comme un réseau transgénérationnel d’influence. Officiers, diplomates, cadres de la haute administration ou chefs d’entreprise, ils irriguent les cercles décisionnels de la République. En créant un espace de débat littéraire ouvert au public, ils brouillent habilement les frontières entre société civile et institution militaire, renforçant l’image d’une armée citoyenne au service du développement. Pour les partenaires internationaux, cette perméabilité reflète la stabilité du modèle congolais où les forces armées, tout en demeurant loyales au commandement suprême, s’inscrivent dans la dynamique de modernisation voulue par le chef de l’État.

Pérenniser la pensée d’Eta-Onka, un impératif de sécurité

La manifestation s’est achevée sur un constat partagé : la pérennisation de la pensée du général Eta-Onka représente une priorité sécuritaire. À l’heure où la polarisation informationnelle peut fragiliser le moral d’une nation, valoriser un corpus littéraire porteur d’héroïsme et d’unité constitue une parade douce mais efficace. La perspective d’un colloque sur l’écriture et l’armée, évoquée par plusieurs orateurs, pourrait déboucher sur la création d’un Observatoire congolais de la culture de défense, chargé de mettre en réseau universitaires, officiers et acteurs industriels. Ce dispositif, articulé à la Direction générale des affaires stratégiques, offrirait un outil d’anticipation des menaces narratives et de promotion du récit national. En définitive, célébrer le général-poète ne relève pas d’une nostalgie académique ; c’est un investissement dans la stabilité conceptuelle des forces armées et, par ricochet, dans la sécurité intérieure du Congo-Brazzaville.

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