Une convergence stratégique au long cours
La réception de l’ambassadrice d’Égypte, Imane Samy Yakout, par le secrétaire permanent du Comité interministériel de l’action de l’État en mer et dans les eaux continentales (CI-AEMC), Éric Olivier Sébastien Dibas-Franck, le 1ᵉʳ juillet à Brazzaville, scelle la volonté mutuelle de densifier un dialogue sécuritaire déjà ancien mais rarement médiatisé. Si l’échange a, selon nos informations, dépassé la courtoisie protocolaire pour aborder la granularité des menaces sur les façades maritimes africaines, il témoigne surtout d’une diplomatie qui s’appuie de plus en plus sur les arguments capacitaires des forces navales.
Dans un contexte où les flux commerciaux redessinent les routes énergétiques entre golfe de Guinée, Méditerranée orientale et canal de Suez, la rencontre a rappelé que la politique étrangère congolaise, sous l’impulsion du président Denis Sassou Nguesso, privilégie les partenariats capables de conjuguer sécurité et opportunités économiques. De l’aveu même d’un conseiller du ministère congolais des Affaires étrangères, « l’approche égyptienne allie pragmatisme militaire et sens aigu des réalités portuaires, un atout pour notre façade atlantique ».
De la Méditerranée à l’Atlantique, une complémentarité capacitaire
L’Égypte déploie une des marines les plus étoffées du continent, dotée de corvettes Gowind, de frégates FREMM et de bâtiments de débarquement Mistral, plate-formes précieuses pour la projection d’équipes de visite et de médecins militaires lors d’opérations de sécurité maritime. À l’inverse, le Congo mise sur une force fluvio-maritime plus modeste mais en pleine rénovation, articulée autour de patrouilleurs rapides et d’un réseau de sémaphores côtiers modernisés depuis 2022. La symétrie des moyens explique partiellement la volonté de bâtir un dispositif coopératif : là où Brazzaville recherche des savoir-faire en matière de détection longue distance, Le Caire voit dans le port en eau profonde de Pointe-Noire un appui stratégique sur la façade atlantique.
Les exercices conjoints envisagés – centrés sur le remorquage au combat, la visite de navires suspects et le transfert de commandement – devraient renforcer l’interopérabilité des centres de commandement, tout en offrant aux équipages congolais un accès à des simulateurs de dernière génération déployés au Collège de guerre navale d’Alexandrie.
Le cadre juridique en gestation : vers un mémorandum robuste
La perspective d’un mémorandum d’entente, évoquée publiquement par l’ambassadrice égyptienne, constitue la pierre angulaire du projet. Inspiré des standards de l’Organisation maritime internationale, le texte devrait définir des procédures communes de collecte de preuves en mer, un partage quasi-temps réel des alertes AIS et une clause de formation croisée des officiers de liaison. Un diplomate européen en poste à Brazzaville souligne que « ce type d’instrument juridique crédibilise la gouvernance maritime tout en rassurant les partenaires privés et assureurs ».
Sur le plan régional, un accord bilatéral de cette nature viendrait compléter l’architecture de Yaoundé, cadre de référence pour la sécurité dans le golfe de Guinée. Il conférerait au Congo une visibilité accrue lors des forums de l’Union africaine consacrés à la sûreté des voies maritimes, tout en permettant à l’Égypte de projeter son influence au-delà du périmètre méditerranéen.
La stratégie congolaise pour la mer, pivot d’une économie bleue sécurisée
Adoptée le 6 juin dernier, la Stratégie nationale pour la mer et les eaux continentales érige la sécurité en pilier d’une croissance maritime durable. Le texte prévoit une augmentation progressive du budget alloué au CI-AEMC, la création d’une unité mixte gendarmerie-douanes dans le port de Pointe-Noire et l’extension de la couverture radar aux embouchures fluviales. Ces dispositions prennent tout leur sens dans la perspective d’une coopération avec l’Égypte, pays qui a multiplié par trois ses revenus issus du canal de Suez grâce à une sécurisation systématique du trafic.
En filigrane, Brazzaville ambitionne de capter une partie des investissements logistiques en provenance du Moyen-Orient. Plusieurs chantiers navals privés envisagent déjà de positionner des équipes techniques au Congo pour la maintenance de petites unités, tandis que l’Autorité du Canal de Suez proposerait, selon nos sources, des modules de conseil en gestion portuaire adaptés aux réalités congolaises.
Formation, renseignement et lutte contre la criminalité maritime
La lutte contre la criminalité transnationale organisée – piraterie opportuniste, trafic de stupéfiants et pêche illégale – reste le moteur opérationnel de la future entente. Les services égyptiens disposent d’une expertise avérée en matière de fusion du renseignement maritime, via leur Centre de guerre électronique d’Abou Qir. Leur méthodologie, articulée autour du recoupement d’imagerie satellitaire, de signaux AIS falsifiés et d’écoutes VHF, pourrait être transférée au Centre national de surveillance des pêches de Pointe-Noire.
À l’échelle humaine, l’accord ouvrirait des stages de perfectionnement pour les officiers de la Marine congolaise à l’Académie navale d’Alexandrie. Inversement, des instructeurs égyptiens pourraient être détachés à l’École nationale de la gendarmerie de Oyo pour former des équipes de visite bilingues, capables d’opérer lors des patrouilles fluviales nocturnes où les barges clandestines demeurent difficiles à intercepter.
Perspectives opérationnelles et diplomatiques
À court terme, la signature du mémorandum – annoncée pour la prochaine session de la commission mixte Congo-Égypte – devrait institutionnaliser un dialogue déjà nourri par les attachés de défense respectifs. À moyen terme, l’enjeu sera d’arrimer cette coopération aux initiatives multilatérales telles que l’architecture de Yaoundé, tout en attirant des financements verts pour des projets d’économie bleue certifiés. Le ministre congolais de la Défense, Charles Richard Mondjo, plaide pour « un dispositif où la sécurité maritime n’est plus un coût mais un levier de compétitivité portuaire ».
En définitive, la dynamique bilatérale illustre un paradigme où la diplomatie navale sert d’accélérateur économique. Pour Brazzaville, la collaboration avec Le Caire offre la possibilité de renforcer un appareil sécuritaire en pleine professionnalisation sans renoncer à la souveraineté décisionnelle. Pour l’Égypte, elle crédibilise sa posture africaine au sud de l’équateur et diversifie ses partenariats loin des théâtres méditerranéens saturés. Entre Nil et fleuve Congo, la marée montante de la géopolitique maritime pourrait bien dessiner un nouveau trait d’union continental.