Tripoli redevient brûlant, Brazzaville aiguise la plume

6 Min de Lecture

Brazzaville au centre d’un dispositif diplomatique offensif

Rarement le terme de « diplomatie de défense » n’aura trouvé écho aussi concret que lors de la session virtuelle du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine du 24 juillet. Présidée par Kampala, la réunion a pourtant rapidement pris les couleurs de Brazzaville : Denis Sassou Nguesso, qui préside le Comité de haut niveau sur la Libye, a, d’entrée de jeu, replacé la question libyenne non seulement dans le champ politique, mais également dans celui, plus martial, de la sécurisation régionale. Aux yeux du chef de l’État congolais, la flambée de Tripoli en mai dernier constitue une menace directe pour les flux migratoires, la circulation d’armes légères et le trafic d’équipements militaires de surplus, autant d’éléments susceptibles de contaminer l’ensemble du Sahel et du Golfe de Guinée.

L’équation sécuritaire libyenne, un casse-tête opérationnel

La capitale libyenne s’est réveillée sous le feu croisé de la 44e brigade d’infanterie et du Dispositif de soutien à la stabilité. Au-delà des statistiques de victimes, l’incident de mai a mis en lumière l’extrême fragmentation des chaînes de commandement. Un officier de liaison africain, basé à Addis-Abeba, observe qu’« aucune des brigades en présence ne dispose d’un contrôle unifié du renseignement ». En d’autres termes, la capacité de prévision tactique est quasi nulle, rendant l’emploi de médiateurs régionaux indispensable pour éviter l’effet domino sur les installations pétrolières côtières et sur la zone aérienne contrôlée par la force conjointe ONU-UA.

Renseignement continental : un maillage encore inachevé

Le Centre africain d’études et de recherche sur le terrorisme, basé à Alger, a transmis au CPS une note confidentielle pointant « la résurgence de cellules dormantes affiliées à l’État islamique dans la Tripolitaine ». Pour Denis Sassou Nguesso, cette alerte valide l’urgence d’amplifier le partage de données entre services de renseignement africains. Brazzaville plaide pour la connexion, à moyen terme, des plateformes SIGINT de Libreville et de Ndjamena, afin de suivre en temps quasi réel les relais logistiques traversant le Fezzan. Cette perspective témoigne d’une montée en gamme des outils africains de surveillance, jusque-là tributaires de partenaires extérieurs.

La charte de réconciliation, pivot d’un cessez-le-feu durable

Prévue pour être paraphée à Addis-Abeba dans les prochaines semaines, la charte de réconciliation interlibyenne ressemble à une ponceuse diplomatique : elle se propose de gommer, couche après couche, les lignes de front symboliques autant que territoriales. Denis Sassou Nguesso l’a rappelé : « Le texte n’est pas un simple protocole mais un instrument de désescalade ». Sa valeur repose moins sur les formules juridiques que sur le mécanisme de vérification sécuritaire intégré : des équipes mixtes UA-ONU seront déployées dans les corridors sensibles pour inspecter les stocks d’armes lourdes et accompagner la réinsertion paramilitaire des combattants jeunes. Cet accompagnement, soutenu par l’Angola et l’Égypte, renvoie à un savoir-faire africain souvent sous-estimé : celui de la démobilisation.

Museveni, Youssouf et le jeu des équilibres militaires

Yoweri Museveni, dont l’Ouganda assume la présidence tournante du CPS, a choisi un vocabulaire sans détours pour qualifier la situation : « une poudrière polymorphe ». Mahmoud Ali Youssouf, à la tête de la Commission, lui a emboîté le pas en dénonçant la « myopie stratégique » des factions libyennes. Ces prises de parole, loin d’être rhétoriques, signalent une coordination accrue entre les pôles politique et militaire de l’UA. Selon une source diplomatique à Addis-Abeba, un concept d’opération restreint, élaboré par le Département Paix et Sécurité, prévoit déjà le pré-positionnement d’une unité de forces spéciales africaines pour la protection du futur mécanisme de surveillance, si celui-ci obtenait la caution du Conseil de sécurité de l’ONU.

Impact régional sur les armées du Golfe de Guinée

Les états-majors de Yaoundé, Abuja et Brazzaville observent avec gravité le théâtre libyen. Toute remontée de groupes armés vers le sud pourrait accroître la pression sur les couloirs logistiques utilisés par les bandes criminelles dans le nord du Cameroun ou du Nigéria. Un conseiller militaire congolais rappelle que « la porosité des frontières au Sahara se paie, tôt ou tard, sur le littoral atlantique ». Dans ce contexte, la République du Congo investit progressivement dans la modernisation de sa base navale de Pointe-Noire et dans l’entraînement des commandos fluviaux, afin de décourager tout débordement terroriste ou maritime lié à la déstabilisation libyenne.

Vers une doctrine africaine de la réponse intégrée

La crise libyenne agit comme un révélateur des limites mais aussi des potentialités de la sécurité collective africaine. En articulant médiation politique, renseignement coopératif et planification opérationnelle, le tandem UA-Congo-Brazzaville met à l’épreuve ce que certains experts appellent déjà « la doctrine de l’appropriation continentale » : une gouvernance sécuritaire qui réduit la dépendance aux forces extérieures, tout en préservant la souveraineté des États membres. Le succès ou l’échec de cette approche pèsera lourd sur la crédibilité de l’Union africaine dans les théâtres à venir, du Soudan aux Comores.

Partager cet Article