Ankara-Brazzaville : diplomatie, armes et urnes

5 Min de Lecture

Périple africano-ottoman et diplomatie sécuritaire

En traversant, en l’espace de quelques semaines, Libreville, Dar es-Salam, Luanda, Cape Town, Maputo, Gaborone, Port-Louis, Ouagadougou, Monrovia et Abuja avant de conclure à Ankara et Istanbul, le Premier ministre Anatole Collinet Makosso a rappelé qu’une campagne multilatérale se gagne aussi sur le terrain bilatéral. Le soutien recherché à la candidature de Firmin-Edouard Matoko à la direction générale de l’Unesco fut le fil conducteur officiel. Mais dans la capitale turque, l’entregent diplomatique s’est doublé d’un dialogue stratégique portant sur la sûreté des corridors énergétiques, la modernisation des forces congolaises et la stabilité du golfe de Guinée. Le vice-président turc Cevdet Yılmaz, hôte du chef du gouvernement congolais, a laissé entendre que « la défense constitue désormais un pilier transversal de notre relation, complémentaire à l’éducation et à la culture », confie un conseiller ayant pris part aux entretiens.

Vers une synergie militaro-industrielle Congo-Turquie

Depuis 2021, la Turquie intensifie sa présence sur le continent africain à travers la vente de drones tactiques, de patrouilleurs côtiers et de systèmes de surveillance frontalière. Brazzaville, confrontée aux défis de surveillance de son espace aérien et de ses approches maritimes, étudie avec Ankara la mise en place d’un programme de formation conjointe destiné aux pilotes de reconnaissance et aux opérateurs de renseignement d’origine image. Un officier supérieur de l’armée de l’air congolaise, en mission discrète à Eskisehir, estime que « les capacités turques offrent un rapport coût-efficacité adapté à nos besoins ». Les discussions portent également sur la localisation partielle de la maintenance, susceptible de préfigurer une petite filière aéronautique dans la zone économique spéciale de Pointe-Noire.

Sécuriser les corridors miniers et ferroviaires

La relance du projet de fer de Mayoko et la réhabilitation du tronçon ferroviaire Mbinda-Mayoko-Mont-Belo, long de 465 kilomètres, ouvrent des perspectives logistiques majeures mais requièrent une solide protection. Le ministère congolais de la Défense et la Gendarmerie nationale planchent avec les opérateurs turcs sur un concept de « corridor sûr » articulé autour de détachements mixtes, de postes de commandement mobiles et de capteurs terrestres fournis par ASELSAN. L’objectif est de prévenir les actes de sabotage, d’étouffer le trafic transfrontalier illicite et de rassurer investisseurs et assureurs. Ce dispositif complétera, au large, le renforcement de la surveillance maritime dans la zone C de Yaoundé, où le Congo déploie déjà le patrouilleur Lélikélé.

La candidature Matoko, outil d’influence pacifique

Au-delà des blindés et des rails, la campagne en faveur de Firmin-Edouard Matoko illustre la volonté de Brazzaville d’accroître son capital d’influence normatif. Ancien sous-directeur général de l’Unesco chargé de l’Afrique, le diplomate est perçu à Ankara comme un médiateur audible entre Nord et Sud dans un multilatéralisme sous tension. Un diplomate turc observe que « l’élection d’un dirigeant venu de la CEEAC crédibiliserait le plaidoyer pour un partage plus équitable des technologies éducatives ». Pour le Congo, emporter le scrutin de 2025 offrirait une tribune afin de promouvoir la protection des biens culturels en situation de conflit, dossier connexe aux opérations de maintien de la paix où ses contingents interviennent de façon croissante sous mandat onusien.

Perspectives régionales et rayonnement stratégique

En conjuguant instruments durs – partenariats capacitaires, coopération policière, sécurisation d’infrastructures – et leviers doux – culture, patrimoine, formation –, Brazzaville affine une diplomatie de défense qui se veut inclusive et prudente. La qualité des échanges avec la Turquie pourrait accélérer la montée en puissance du dispositif national de renseignement, notamment grâce à l’implantation annoncée d’un centre d’analyse de données satellitaires à Kintélé. De son côté, Ankara gagne un point d’appui discret mais stratégique sur la façade atlantique centrale. L’équilibre de ce troc géopolitique repose toutefois sur la capacité des deux capitales à mutualiser leurs efforts de conformité, qu’il s’agisse des règles de contrôle des exportations d’armes ou des standards environnementaux liés à l’exploitation minière. En filigrane, le succès de la candidature Matoko servirait de baromètre : s’il est élu, l’axe Congo-Turquie démontrerait qu’il peut articuler sécurité et bien public global, confirmant ainsi la doctrine prônée par le président Denis Sassou Nguesso d’une « paix par la coopération souveraine ».

Partager cet Article