Coopération interparlementaire Congo France défense
Le 1ᵉʳ août, dans la pénombre climatisée du palais des Congrès de Brazzaville, le président de l’Assemblée nationale Isidore Mvouba et l’ambassadrice de France Claire Bodonyi ont réglé l’horloge diplomatique de leurs deux capitales. Au-delà des échanges de civilités, tous deux ont pris la mesure du rôle que la diplomatie parlementaire joue désormais dans l’architecture sécuritaire d’Afrique centrale. « Il s’agit de traduire en actes les grandes orientations fixées par nos exécutifs », a glissé le président Mvouba à l’issue de l’entretien, conscient que le contrôle budgétaire et législatif des forces armées passe d’abord par la Chambre basse.
À Paris, lors de la 50ᵉ session de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie, les délégations avaient déjà souligné la nécessité de codifier le partage d’informations en matière de lutte contre les trafics transfrontaliers. L’audience de Brazzaville a donc clarifié le séquençage de travail : constitution formelle des groupes d’amitié, harmonisation des calendriers de commission Défense et, à moyen terme, mise en place d’un cadre de suivi conjoint des opérations de maintien de la paix auxquelles participent les contingents congolais sous casque bleu.
Mémoire des soldats africains et cohésion sécuritaire
La dimension mémorielle, loin d’être anecdotique, irrigue cette entente. La stèle offerte par la commune française de Verquin, en hommage aux tirailleurs du Bassin du Congo tombés sur les champs de bataille européens, attend son piédestal depuis plusieurs mois dans les réserves du ministère congolais de la Culture. « Commémorer, c’est aussi préparer l’avenir en rappelant la valeur du sacrifice consenti pour la liberté », rappelle Claire Bodonyi, citant la formule du général de Villiers sur la « mémoire, ciment de la cohésion morale ».
Le lien entre hommage historique et coopération sécuritaire est assumé : inscrire la stèle au cœur du Centre de formation et de recherche en art dramatique (CFRAD) revient à créer un espace où la culture et la défense dialoguent. Les autorités entendent y organiser des colloques sur la contribution des troupes africaines à la Libération, mais aussi des séminaires sur la prévention de l’extrémisme violent, thème qui résonne fortement dans un Golfe de Guinée confronté à la piraterie et aux flux d’armes légères.
Un cadre législatif renouvelé pour le partenariat militaire
Sur le plan strictement opérationnel, la Chambre basse congolaise œuvre à l’actualisation de la loi de programmation militaire 2024-2029. L’Assemblée française, déjà rodée à ce type d’exercice, a proposé son concours méthodologique. Paris met en avant son expérience du contrôle parlementaire des opérations extérieures afin d’accompagner Brazzaville dans la définition d’indicateurs de performance budgétaire applicables aux Forces armées congolaises (FAC).
Ce dialogue législatif complète la coopération classique entre états-majors : formation d’officiers au Collège de défense d’Issy-les-Moulineaux, participation régulière des unités congolaises aux exercices amphibies « Nemo » dans l’Atlantique, apport d’expertise française en matière de cyberdéfense pour la protection des infrastructures pétrolières du littoral. « Le travail des parlementaires confère une assise démocratique aux engagements que prennent nos soldats », souligne un conseiller du ministère congolais de la Défense, rappelant que le budget de la défense représente 8,2 % des dépenses de l’État et nécessite une visibilité pluriannuelle.
Le CFRAD, futur épicentre culturel et stratégique
La réhabilitation du CFRAD, financée pour partie par l’Agence française de développement et le Trésor congolais, ouvre une perspective originale : utiliser un lieu de création artistique comme plateforme de diplomatie de défense. Dès l’inauguration, la stèle servira de pivot à un parcours muséal interactif retraçant la contribution congo-gabonaise au débarquement de Provence. Les responsables prévoient d’y associer les écoles militaires de Pointe-Noire pour des visites pédagogiques, mettant en scène le continuum culture-armée que promeut le gouvernement.
Le calendrier, encore confidentiel, table sur la fin du premier semestre 2024, de façon à coïncider avec les commémorations du 80ᵉ anniversaire de la Libération. Les services du protocole entendent convier des représentants d’unités françaises ayant combattu aux côtés des tirailleurs, afin de donner au cérémonial un relief à la fois historique et opérationnel.
Diplomatie parlementaire et stabilité stratégique
Au-delà du symbole, l’entretien Mvouba-Bodonyi révèle la montée en puissance d’une diplomatie parlementaire qui se veut vecteur de stabilité régionale. En inscrivant dans leurs ordres du jour respectifs une coopération structurée sur la sécurité maritime, la lutte contre le terrorisme et la résilience climatique des forces, les deux Assemblées entendent peser sur des problématiques qui dépassent le strict cadre bilatéral.
Cet ancrage législatif consolide la marge de manœuvre du président Denis Sassou Nguesso, engagé depuis le Sommet de Paris sur la paix et la sécurité à promouvoir une approche intégrée des crises. Pour Paris, il s’agit de conforter un partenariat jugé fiable dans une zone stratégique où convergent les appétits commerciaux et les ambitions sécuritaires de diverses puissances extra-africaines. En scellant leur entente sous le regard des héros de 1944, Brazzaville et Paris démontrent qu’une mémoire partagée peut encore inspirer les instruments d’une sécurité coopérative au XXIᵉ siècle.