Menaces financières et impératif sécuritaire mondial
Au lendemain de la pandémie de Covid-19, les flux financiers illicites ont retrouvé un rythme soutenu, irriguant des réseaux criminels et parfois terroristes capables de déstabiliser des régions entières. Le Fonds monétaire international estime que le blanchiment représente jusqu’à 3 % du PIB mondial ; un terrain d’action discret mais décisif pour des acteurs hostiles lorsque l’option militaire classique est trop coûteuse. En Afrique centrale, couloirs aurifères, routes migratoires et hubs pétroliers offrent des points d’entrée privilégiés à ces capitaux opaques. Dans ce contexte, la République du Congo ne peut plus considérer la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB/FTP) comme une simple exigence de conformité bancaire ; il en va de la cohésion sociale et de la crédibilité de son appareil de défense.
Le Groupe d’action financière (GAFI) a élevé la « menace hybride financière » au rang de critère stratégique. Ses listes grise et noire agissent comme de véritables sanctions, renchérissant l’accès au crédit souverain et complexifiant l’acquisition de matériel de défense. Pour un pays qui vise à diversifier ses partenariats sécuritaires, se maintenir hors de ces listes est une condition préalable à toute coopération opérationnelle. D’où l’intérêt renouvelé pour une gouvernance du risque reposant sur la cartographie, pierre angulaire de l’approche par les risques prônée par la recommandation 1 du GAFI.
Architecture nationale : une dynamique en consolidation
Sous l’impulsion du président Denis Sassou Nguesso, la République du Congo s’est dotée en mars 2022 d’une législation de nouvelle génération avec la loi 9-22. Celle-ci encadre la prévention, la détection et la répression des infractions de blanchiment. Le dispositif s’articule autour de la Cellule nationale des renseignements financiers, des autorités de poursuite et des régulateurs sectoriels, désormais épaulés par la Direction générale du Contrôle d’État. « La solidité d’un rempart dépend de la précision des plans d’architecte », résume Isaac Gervais Onghabat, directeur des Risques et Contrôles, certifié ISO 31000.
Cette gouvernance s’inscrit également dans la coopération sous-régionale. À Libreville, le Groupe d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique centrale (GABAC) joue un rôle d’entraînement collectif en évaluant périodiquement les cadres nationaux. L’enjeu pour Brazzaville est double : éviter toute dégradation de notation qui fragiliserait l’attractivité économique, et disposer d’une base normative homogène pour faciliter les enquêtes conjointes, y compris avec les forces armées congolaises lorsqu’un lien avec la prolifération ou le terrorisme est avéré.
La cartographie des risques : boussole stratégique
Au-delà des textes, l’efficacité de la LCB/FTP repose sur une cartographie exhaustive des menaces, appelée à devenir le socle de tout plan d’action. L’outil, tel que défendu par Isaac Gervais Onghabat, vise à hiérarchiser les vulnérabilités de manière dynamique. Zones frontalières à trafic dense, maisons de change informelles à Brazzaville ou Pointe-Noire, mais aussi nouveaux instruments financiers numériques font l’objet d’une pondération qui conditionne l’allocation des moyens de surveillance.
En segmentant les secteurs d’activité du plus au moins risqué, la cartographie évite l’écueil d’une dilution des ressources. Elle permet également de pré-positionner les unités spécialisées de la gendarmerie et des services de renseignement intérieur en fonction d’indicateurs concrets. « Nous passons d’une logique d’inventaire à une logique d’anticipation », insiste un haut cadre du ministère des Finances, pour qui la visibilité sur l’exposition nationale participe directement à la résilience stratégique.
Convergence renseignement-défense : multiplier les effets
La cartographie des risques s’intègre de plus en plus aux tableaux de bord des forces armées congolaises, notamment au sein de la Direction générale de la documentation et de la sécurité militaire. Les analystes financiers y croisent désormais données bancaires et renseignements d’origine électromagnétique pour tracer des chaînes de valeur suspectes. Sur le théâtre centre-africain, le financement illicite alimente l’acquisition d’armes légères qui circulent au-delà des frontières. Mieux orienter les patrouilles et les opérations de contrôle grâce à l’analyse financière réduit le fardeau logistique et augmente l’effet dissuasif.
Cette culture du partage trouve un prolongement dans la préparation opérationnelle. Les écoles de gendarmerie introduisent depuis 2023 un module dédié aux typologies de blanchiment, tandis que la Police criminelle consolide sa coopération avec la Banque centrale pour accélérer le gel des avoirs. Le maillage institutionnel se densifie sans empiéter sur les prérogatives de chacun, car la cartographie sert de référentiel commun plutôt que de hiérarchie parallèle.
Perspectives capacitaires et souveraineté normative
À court terme, Brazzaville envisage de doter la Cellule de renseignements financiers d’une plateforme d’intelligence artificielle capable de détecter les transactions atypiques en quasi temps réel. Le projet, soutenu par un prêt concessionnel multilatéral, inclut un volet de formation locale afin de réduire la dépendance technologique. La cartographie des risques fournira les paramètres d’apprentissage initial ; l’algorithme affinera ensuite les scénarios, créant un cercle vertueux entre connaissance stratégique et exploitation tactique.
Sur le plan diplomatique, la mise à jour régulière de la cartographie sera l’argument clé au moment de la prochaine évaluation mutuelle du GABAC, attendue en 2025. Un bilan positif consoliderait la position congolaise dans les enceintes de coopération sécuritaire et favoriserait les transferts de savoir-faire en matière de cybersécurité et de contrôle des frontières. Dans un environnement où la guerre asymétrique se nourrit autant d’informations que de munitions, le pari congolais d’ériger la cartographie LCB/FTP en boussole stratégique apparaît, à ce stade, comme un atout mesuré et déterminant.