La gendarmerie, pivot de l’équilibre sécuritaire national
L’adoption, le 13 août dernier, du projet de loi fixant les missions, l’organisation et le fonctionnement de la gendarmerie nationale marque un tournant attendu dans l’architecture sécuritaire du Congo-Brazzaville. Conçue à l’aube des années 2000, l’ordonnance n°5-2001 n’offrait plus le cadre doctrinal nécessaire pour affronter l’extension des menaces hybrides, des trafics transfrontaliers et de la cyber-criminalité. « Il fallait une charpente juridique en phase avec l’évolution des risques », a résumé devant les sénateurs le ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation, Raymond Zéphirin Mboulou. En réaffirmant le statut militaire du corps et en précisant sa vocation territoriale, le nouveau texte consolide la gendarmerie comme force de police à statut militaire, capable de projeter une présence permanente dans les zones rurales et périurbaines tout en demeurant sous l’autorité du chef suprême des armées, le président Denis Sassou Nguesso.
- La gendarmerie, pivot de l’équilibre sécuritaire national
- Un dispositif législatif repensé pour la flexibilité tactique
- Complémentarité police-gendarmerie : la partition se clarifie
- Formation et montée en puissance capacitaire
- Ouverture régionale et coopération internationale
- Vers une gouvernance sécuritaire intégrée
Un dispositif législatif repensé pour la flexibilité tactique
Le cœur de la réforme repose sur la redéfinition des missions, désormais articulées autour de trois axes : sûreté publique, défense opérationnelle du territoire et appui aux autorités civiles. La loi détaille des mécanismes d’alerte rapide, formalise la création de commandements spécialisés – lutte anti-terroriste, police judiciaire militaire, sécurité routière – et consacre un droit à la mobilité interarmées destiné à optimiser la gestion des effectifs. Pour le colonel-major Hervé Mankassa, chargé de la rédaction technique du texte, « cette loi permet de passer d’une logique de simple maintien de l’ordre à une culture de l’anticipation stratégique ». L’insertion d’outils numériques d’appui à la décision et l’élargissement des prérogatives de renseignement de proximité traduisent cette recherche de flexibilité, sans empiéter sur le mandat du Service national de renseignement et de documentation (SNR).
Complémentarité police-gendarmerie : la partition se clarifie
La question des chevauchements entre compétences policières et gendarmiques avait nourri le débat parlementaire. Le nouveau dispositif acté par le Sénat fixe un principe de subsidiarité : la gendarmerie conserve la primauté en milieu rural, sur les axes logistiques et dans les zones à dominante stratégique (sites pétroliers, corridors ferroviaires), tandis que la police nationale demeure chef de file en milieu urbain dense. Ce partage, déjà pratiqué de facto, devient réglementaire et s’accompagne d’un protocole de coordination opérationnelle. Selon le général de brigade Jean-Baptiste Ondongo, commandant la gendarmerie de la région septentrionale, « l’interopérabilité sera renforcée par des cellules mixtes de commandement qui éviteront la redondance et accéléreront la circulation du renseignement ». La clarification doctrinale vient ainsi conforter la cohérence de l’action publique sans fragiliser l’équilibre institutionnel.
Formation et montée en puissance capacitaire
Le législateur a inscrit dans la loi un volet ambitieux de formation continue, condition sine qua non de la pleine entrée en vigueur des nouvelles attributions. Le Centre d’instruction de Djoumouna sera étendu pour accueillir un pôle cyber, tandis que l’École de gendarmerie de Gamboma ouvre une filière d’analyse criminelle. Ce repositionnement pédagogique vise à fédérer des compétences en investigation financière et en exploitation de données, domaines désormais incontournables dans la lutte contre les réseaux illicites. D’ici à 2026, un programme pluriannuel dotera les unités territoriales d’équipements radio chiffrés de génération 4G-LTE et de drones légers d’observation, financés en partie sur le budget défense et par des instruments multilatéraux. La Banque de développement des États de l’Afrique centrale a déjà validé une ligne de crédit de 18 millions d’euros pour l’acquisition de matériels non létaux et de simulateurs d’entraînement.
Ouverture régionale et coopération internationale
La dimension extérieure du texte n’est pas anodine : la gendarmerie congolaise est appelée à jouer un rôle d’avant-postes dans les initiatives de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) contre la piraterie et les groupes armés transnationaux. Le nouvel article 34 autorise le déploiement d’unités constituées dans des opérations conjointes, sous réserve d’un accord du chef de l’État. Cette disposition facilite la projection de forces dans des cadres tels que la mission maritime internationale GoG-MMI dans le Golfe de Guinée ou les patrouilles mixtes aux frontières orientales. Le lieutenant-colonel français Thierry Langlade, conseiller défense auprès de la CEEAC, estime que « l’adaptation juridique confère au Congo une crédibilité accrue dans les exercices de sécurité collective, notamment face aux attentes des partenaires européens en matière de professionnalisation et de redevabilité ».
Vers une gouvernance sécuritaire intégrée
En harmonisant doctrine, structure et moyens, la nouvelle loi offre au pouvoir exécutif un instrument moderne pour conduire la politique de sécurité intérieure. Le recours possible à des officiers supérieurs pour tenir des commandements traditionnellement réservés aux généraux, moyennant décision présidentielle, introduit une souplesse hiérarchique susceptible de dynamiser les parcours de carrière. Par ailleurs, l’obligation d’évaluation annuelle des performances, inscrite à l’article 47, crée un mécanisme de reddition de comptes qui répond aux meilleures pratiques de gouvernance recommandées par l’Union africaine. Dans un environnement sous-régional marqué par des crispations sécuritaires, cette réforme conforte la stature du Congo-Brazzaville comme acteur stable et prévisible. En conjuguant loyauté institutionnelle et modernisation capacitaire, elle illustre la volonté du président Denis Sassou Nguesso de bâtir une défense intérieure résiliente, articulée aux impératifs de développement économique et de cohésion nationale.