Infox 2026 : le bouclier Congo-France se met en place

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Un partenariat stratégique centré sur la sécurité informationnelle

Dans le sillage du rapprochement parlementaire scellé par le mémorandum de 2024, la République du Congo et la France ont déplacé le curseur de leur coopération vers un champ devenu crucial pour toute architecture de défense : l’espace informationnel. Le 21 août dernier, lors d’un entretien au Sénat de Brazzaville, le président du groupe d’amitié Congo–France, Aristide Ngama Ngakosso, et l’ambassadrice Claire Bodonyi ont consacré la notion de « sécurité informationnelle » comme l’un des piliers formels du dialogue bilatéral. « Nos deux pays partagent la même exigence de stabilité institutionnelle », a résumé la diplomate, insistant sur la nécessité de protéger les opinions publiques contre les ingérences numériques étatiques.

La démarche ne relève plus du seul registre symbolique. Dans un contexte international où la désinformation constitue un vecteur d’influence comparable, par ses effets, à une opération hybride classique, Brazzaville et Paris entendent se doter d’un bouclier commun. L’initiative répond à un impératif de souveraineté pour le Congo et nourrit, côté français, la doctrine de protection des processus démocratiques promue depuis 2021 par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale.

Des architectures nationale et bilatérale désormais articulées

La France dispose depuis deux ans de VIGINUM, service armé pour détecter, attribuer et neutraliser les campagnes étrangères. Le Congo, pour sa part, s’appuie sur le Conseil supérieur de la liberté de communication (CSLC), doté d’une cellule d’alerte nourrie par les opérateurs télécoms et par la Plateforme nationale de cybersécurité hébergée au ministère de l’Intérieur. Les deux entités ont désormais institué des canaux permanents : visioconférences hebdomadaires, procédures d’échange d’indicateurs techniques et contacts dédiés entre officiers de liaison.

Lors des dernières semaines, plusieurs officiels congolais ont effectué à Paris une immersion au sein du centre opérationnel de VIGINUM. « Ce passage de relais ouvre une ère de traçabilité partagée », confie un haut fonctionnaire français, précisant que l’enjeu n’est pas de sous-traiter la décision politique mais de fournir une lecture convergente des tactiques adverses, des fermes de comptes automatisés aux deepfakes à visée électorale. Au retour, la délégation congolaise a proposé la création d’une base de données commune sur les récidivistes de la manipulation, hébergée à Brazzaville et répliquée à Paris sous format chiffré.

Des menaces hybrides, genrées et transfrontalières

Les services de renseignement extérieur français et congolais s’accordent à voir dans l’orchestration des infox un mode opératoire désormais standard chez certains États tiers. Les cibles privilégiées sont souvent féminines, phénomène illustré en France par les attaques contre Brigitte Macron et, à Brazzaville, par une campagne diffamatoire visant la diplomate Françoise Joly. La dimension genrée de ces offensives n’est pas anecdotique : elle exploite des stéréotypes sexistes pour maximiser l’empreinte émotionnelle des messages et, partant, la polarisation du débat public.

Dans la sous-région, ces narratifs trouvent des relais dans des clusters de comptes administrés depuis Kinshasa, Abuja ou même Istanbul. Le bassin du Congo est ainsi devenu un terrain où la rhétorique prorusse, parfois couplée à des intérêts extractifs, se conjugue à des contenus azerbaïdjanais ou moyen-orientaux sur mesure. Désigner la source d’une campagne relève d’une expertise fine, d’où l’importance d’un dispositif bilatéral capable de croiser renseignement technique et analyse linguistique.

Planification 2025-2026 : exercices conjoints et chaînes de décision courtes

La séquence électorale congolaise s’ouvrira dès septembre 2025 avec la révision des listes électorales puis culminera en mars 2026. Pour anticiper le pic de menaces, un plan d’entraînement baptisé « Ngolo II » sera conduit à Oyo et à Pointe-Noire au premier trimestre 2025. Il réunira la gendarmerie congolaise, les magistrats du parquet numérique, des analystes de VIGINUM et un détachement du Commandement français pour les opérations interarmées. L’objectif est d’éprouver la chaîne de réaction en moins de six heures : détection, qualification, contre-narratif public et, si nécessaire, action judiciaire.

Selon le colonel Arnaud Duval, attaché de défense à Brazzaville, « la clé réside dans la répétition ». Le volet simulé comprendra la diffusion d’une vidéo falsifiée prétendant annoncer le retrait d’un candidat majeur, suivie d’une correction officielle diffusée sur les comptes certifiés du CSLC. Ces scénarios placent la responsabilité politique au cœur de l’exercice : il s’agit d’instaurer un réflexe de transparence sans alimenter la polémique, afin de rétablir la prévisibilité informationnelle que recherchent les investisseurs et les partenaires diplomatiques du Congo.

Rayonnement régional et crédibilité internationale de Brazzaville

Au-delà de la seule échéance de 2026, l’alliance Congo-France vise à inscrire le pays de Denis Sassou Nguesso dans une dynamique de leadership régional sur la gouvernance numérique. La Communauté économique des États de l’Afrique centrale planche sur un protocole d’assistance mutuelle contre la désinformation. Fort de son expérience avec VIGINUM, Brazzaville est désormais positionné pour en être l’animateur technique. « Nous souhaitons partager ce que nous apprenons auprès de nos partenaires français avec nos voisins », glisse une source au ministère congolais des Affaires étrangères.

Cette dimension externe sert aussi les intérêts stratégiques français sur le continent, consolidant la confiance réciproque et offrant un modèle de coopération équilibré, loin des accusations d’ingérence qui ont pu parasiter d’autres dossiers sécuritaires. Le pari est que la maîtrise de l’espace informationnel renforce la légitimité des institutions congolaises, stabilise l’environnement des affaires et, en miroir, accrédite la doctrine française d’appui aux souverainetés africaines.

Vers une résilience démocratique consolidée

En définitive, la désinformation contemporaine, désormais parfaitement intégrée aux arsenaux hybrides, teste la solidité des démocraties jeunes ou établies. Le Congo-Brazzaville, en adossant son dispositif national à l’expertise française, entend démontrer sa capacité à déjouer ces manœuvres tout en respectant les principes de liberté de la presse et de pluralisme. L’enjeu n’est pas seulement la tenue d’un scrutin paisible en 2026 ; il touche à la confiance collective dans le récit national, condition sine qua non d’un développement durable.

Pour Paris, le partenariat offre un terrain d’expérimentation grandeur nature de la diplomatie de la donnée et du renseignement ouvert. Pour Brazzaville, il représente un gage de fiabilité vis-à-vis de ses partenaires internationaux et une opportunité d’affirmer son autonomie stratégique. Dans un monde saturé par le vacarme numérique, l’alliance des deux capitales esquisse une réponse proportionnée, technique et politique, où la sécurité informationnelle devient un volet indissociable de la défense nationale.

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