Poésie d’acier : le général Eta-Onka entre caserne et lyre

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La littérature militaire congolaise comme creuset d’identité

Lorsque le premier Café littéraire des Anciens Enfants de Troupe s’est ouvert à Brazzaville, les cadets en uniforme kaki se sont mêlés aux universitaires pour célébrer l’œuvre de Claude Emmanuel Eta-Onka, général de brigade et poète disparu en décembre 2024. Par la voix du secrétaire général adjoint de l’amicale, Serge Eugène Ghoma Boubanga, la réunion a rappelé qu’un soldat peut manier la plume avec autant de discipline que le fusil. Cinq des onze ouvrages du défunt sont des recueils versifiés, publiés entre 1991 et 2019, où l’autodiscipline propre à l’Académie militaire préparatoire se conjugue à l’évocation lyrique du village natal. Cette hybridation confère à la poésie congolaise un socle identitaire que les forces armées revendiquent comme un patrimoine intangible, indispensable au moral des troupes et à la construction d’un récit national commun.

Diplomatie culturelle de défense et réseaux AET

Au-delà de la nostalgie, l’événement conforte une diplomatie culturelle discrète que Brazzaville déploie depuis plusieurs années. Les Anciens Enfants de Troupe – présents aujourd’hui dans des chancelleries, des états-majors africains et des organisations régionales – constituent un réseau informel comparable à celui des grandes académies militaires occidentales. En valorisant un de leurs pairs, le Congo-Brazzaville propose une image nuancée de ses forces : disciplinées, certes, mais également productrices de biens symboliques. « La poésie du général Eta-Onka est une main tendue à nos partenaires », confie un officier du ministère de la Défense, soulignant que chaque recueil offert lors d’échanges bilatéraux agit comme « un vecteur de soft power plus durable qu’un communiqué militaire ».

Industrie du livre et mémoire stratégique

La redécouverte d’Eta-Onka ravive une problématique plus large : l’absence de ses ouvrages sur le marché national après la fermeture de plusieurs maisons d’édition. Pour le professeur André Patient Bokiba, conseiller culturel du chef de l’État, la republication constitue « une urgence stratégique ». La Direction centrale du service historique des armées prépare désormais un partenariat avec l’Imprimerie nationale pour assurer un tirage de référence, tandis que la Bibliothèque nationale s’est engagée à numériser les manuscrits. Cette mobilisation, loin d’être anecdotique, répond aux impératifs de résilience culturelle inscrits dans la Politique nationale de défense : conserver les archives, maîtriser une chaîne graphique souveraine et protéger les œuvres des officiers écrivains contre tout risque de disparition ou d’altération.

L’EMPGL, laboratoire de la formation morale des cadres

La perspective du jubilé de l’École militaire préparatoire général Leclerc relance le débat sur la place des humanités dans la formation des jeunes officiers. Le commandement a confirmé l’introduction d’un module « Lettres et leadership » qui s’appuiera sur les textes d’Eta-Onka pour illustrer l’éthique du commandement. Selon le colonel-directeur de l’école, « une littérature enracinée dans la réalité congolaise soutient mieux la cohésion que des manuels importés ». Le pari est clair : renforcer la capacité réflexive des cadets, améliorer leur compréhension des sociétés civiles qu’ils sont appelés à protéger et, par ricochet, prévenir les fractures internes qui minent souvent les armées du continent.

Rayonnement régional et continuité mémorielle

L’hommage littéraire se double enfin d’une dimension régionale. Le Forum des gens de lettres, conduit par Jessy Loemba, prévoit une tournée dans les capitales de la Communauté économique des États d’Afrique centrale. Des récitals en tenue de parade devraient précéder les réunions de chefs d’état-major, instaurant un dialogue symbolique entre culture et sécurité. Si la poésie n’arrêtera jamais un conflit, elle tisse un langage commun qui facilite le règlement des crises. En cultivant la mémoire d’un général-poète, le Congo-Brazzaville investit un registre où la dissuasion relève aussi du prestige moral. Cette stratégie, subtile et peu coûteuse, complète l’effort matériel consenti pour moderniser les forces, rappelant que la puissance d’un État se mesure autant à la finesse de ses récits qu’à la portée de ses moyens terrestres.

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