70 bourses marocaines: un pari pour la défense

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Un levier diplomatique au service de la sécurité

À Brazzaville, le 5 septembre, la remise solennelle des titres de voyage à soixante-dix lauréats congolais appelés à rejoindre les universités du Royaume chérifien a dépassé le simple cadre académique. Dans l’amphithéâtre rempli de familles émues, la ministre de l’Enseignement supérieur, Delphine Edith Emmanuel, a rappelé que la science constitue « la première ligne de défense d’une nation ». En facilitant l’accès de la jeunesse congolaise à des cursus d’ingénierie, de médecine, de droit maritime et de cybernétique, Brazzaville et Rabat prolongent, sur le terrain de la connaissance, un partenariat bilatéral déjà riche en coopération policière et en échanges d’officiers stagiaires. Les bourses marocaines deviennent ainsi un instrument discret de diplomatie sécuritaire, vecteur d’influence réciproque dans un espace Afrique centrale-Maghreb soumis à des défis communs.

Des filières ciblées pour la montée en puissance capacitaire

Les orientations retenues par le comité mixte de sélection traduisent une volonté stratégique. Près du tiers des étudiants intégreront des écoles d’ingénieurs spécialisées dans les systèmes embarqués, domaine clé pour la modernisation des Forces armées congolaises en matière de drones de surveillance et de communications protégées. D’autres suivront un cycle de sciences de la mer, indispensable au renforcement de la sûreté portuaire et à la lutte contre la piraterie dans le golfe de Guinée. Un contingent rejoindra les instituts de cybersécurité de Rabat et de Benguérir, dont la réputation régionale n’est plus à démontrer. À terme, ces profils alimenteront le futur centre national d’alerte cyber de Brazzaville, dont le concept opérationnel est à l’étude au ministère délégué à la Défense, en coordination avec la présidence de la République.

Le rôle moteur du ministère congolais de l’Enseignement supérieur

Sous l’impulsion de Delphine Edith Emmanuel, l’Enseignement supérieur congolais se veut acteur de la posture de souveraineté. La ministre insiste sur la nécessité de « sensibiliser nos jeunes, en particulier les étudiantes, à l’importance des compétences critiques pour la sécurité de demain ». Une cellule de suivi a été créée afin de maintenir un lien permanent entre les boursiers et les institutions nationales ; elle collectera les retours d’expérience pour ajuster, chaque année, le nombre de places réservées aux filières prioritaires. Ce pilotage rapproché garantit que l’investissement consenti par l’État et le partenaire marocain sera capitalisé au bénéfice direct de la Défense, mais également au profit des administrations civiles chargées de la gestion des crises et des infrastructures vitales.

Le Maroc, partenaire pédagogique et stratégique

Au-delà de la bourse, le Royaume propose un environnement d’apprentissage adossé à une industrie de défense en plein essor. Les étudiants congolais, accueillis sur les campus de Fès, Casablanca ou Tanger, seront invités à visiter les chantiers navals, le cluster aéronautique de Nouaceur et le Cyber Security Center inauguré en 2022. Selon l’ambassadeur Ahmmed Agargi, « il est indispensable d’armer nos enfants d’outils intellectuels capables de répondre aux défis climatiques et sécuritaires ». Les deux capitales envisagent également de relancer le programme d’échange entre l’École royale de l’Air et l’École de l’Armée de l’air congolaise de Pointe-Noire. Pour Brazzaville, cette immersion dans l’écosystème marocain constitue une porte d’entrée vers les chaînes de valeur internationales et vers les normes OTAN auxquelles Rabat s’aligne progressivement.

Jeunes talents, future force de résilience nationale

Les témoignages des bénéficiaires illustrent cette projection d’avenir. Hope Théresia Tsono Kosso, admise en génie environnemental, voit dans sa formation « une occasion de sécuriser nos bassins fluviaux face aux risques de pollution et de crue ». Nathan Ballard Moussy, quant à lui, intègrera un master de data science appliquée à l’analyse renseignement d’origine sources ouvertes. Leur enthousiasme conforte la stratégie gouvernementale de constitution d’une réserve de compétences pénétrant à la fois le secteur public et l’économie privée. À leur retour, les lauréats signeront un engagement à servir, pendant cinq ans, une entité nationale d’intérêt stratégique, qu’il s’agisse de l’état-major des Forces armées, de la Direction générale de la police ou de la Compagnie nationale des hydrocarbures.

Vers une coopération académique-défense élargie

La cérémonie du 5 septembre n’est sans doute qu’une étape. Des sources au ministère des Affaires étrangères laissent entendre qu’un accord-cadre est à l’examen pour étendre le dispositif à la formation doctorale et aux stages en entreprises de défense. Dès 2024, une chaire conjointe sur la sécurité maritime afro-atlantique pourrait voir le jour à l’Université Marien-Ngouabi, adossée à l’expertise marocaine en surveillance côtière. À moyen terme, le Congo envisage de doubler le nombre annuel de bourses et d’instaurer un mécanisme de retour d’investissement par des projets de recherche appliquée cofinancés par les deux États. Cette dynamique s’inscrit dans la vision du président Denis Sassou Nguesso d’une diplomatie du savoir au service de la paix, de la croissance et de l’autonomie stratégique.

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