Bébés noirs : l’offensive secrète qui sécurise Brazzaville

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Brazzaville sous tension : cartographie d’une menace urbaine

Depuis plus d’une décennie, la capitale congolaise se trouve confrontée à une criminalité composite où se côtoient délinquance opportuniste et violences organisées. Les bandes baptisées « bébés noirs » ou « kulunas » se distinguent par l’usage systématique d’armes blanches et la mobilité que leur confère une connaissance fine du tissu urbain. D’après les données agrégées par le Comité national de sécurité intérieure, la frange d’âge dominante se situe entre quinze et vingt-quatre ans, avec une sur-représentation de déscolarisés. Le phénomène, initialement cantonné aux arrondissements nord, s’est diffusé vers les axes économiques du sud, suscitant une perception aiguë d’insécurité qui fragilise la cohésion sociale et pèse sur l’attractivité économique de la ville.

La multiplication d’agressions au couteau en plein jour, relayées sur les réseaux sociaux, a accéléré la demande d’une réponse d’État davantage visible. Le déclenchement, fin septembre, d’une opération de neutralisation par la Direction générale de la sécurité présidentielle (DGSP) et la Garde républicaine s’inscrit ainsi dans une séquence où l’enjeu de souveraineté intérieure rejoint la nécessaire protection des populations.

Mode opératoire : synergie DGSP-Garde républicaine

Le plan d’action demeure classifié, mais plusieurs indices convergent. La DGSP, forte d’unités d’intervention légères rodées à la protection du chef de l’État, mettrait à profit ses réseaux de renseignement humain pour dresser une matrice de cibles prioritaires. La Garde républicaine apporte pour sa part un appui en puissance de feu et en moyens de projection, notamment grâce à ses pelotons motorisés et à ses capacités de drones tactiques acquis lors du dernier programme de modernisation. L’option retenue repose sur des frappes ponctuelles, de nuit comme de jour, afin de désarticuler les noyaux durs sans déployer de dispositif de masse qui pourrait paralyser la circulation.

Un officier supérieur ayant requis l’anonymat résume la philosophie de l’opération : « Nous combinons pression permanente et imprévisibilité, l’objectif n’est pas la confrontation frontale, mais la dissipation du sentiment d’impunité. » Sur le plan logistique, les cellules avancées seraient ravitaillées par des véhicules banalisés, limitant la signature visuelle et réduisant le risque d’anticipation adverse.

Renseignement de proximité et participation citoyenne

Au-delà de la manœuvre strictement répressive, le dispositif parie sur l’intelligence territoriale. Les comités de quartier, revitalisés depuis les récentes réformes de la décentralisation, sont invités à signaler tout mouvement suspect via des canaux cryptés mis à disposition par la Plateforme nationale de cyber-coopération. Cette remontée d’information permettrait une mise à jour quasi instantanée de la cartographie des zones rouges.

La police technique et scientifique assure un rôle discret mais déterminant : examen balistique des armes artisanales saisies, rapprochement d’empreintes latentes, exploitation de données téléphoniques collectées sous mandat judiciaire. L’objectif affiché par le ministère de l’Intérieur est de substituer progressivement la preuve judiciaire à l’aveu arraché, condition sine qua non d’une justice apaisée et conforme aux standards internationaux auxquels le Congo a souscrit.

Le recours à des formations militaires dans une mission habituellement dévolue aux forces de police soulève naturellement la question du contrôle démocratique. Les autorités rappellent que l’article 214 du Code pénal autorise l’engagement exceptionnel d’unités spécialisées « lorsque l’ordre public et la stabilité des institutions se trouvent menacés ». Le parquet près le tribunal de grande instance de Brazzaville a, selon nos informations, délivré plus de cent commissions rogatoires permettant perquisitions et interceptions.

Maître Landry Okoumba, avocat au barreau de Brazzaville, estime que « la ligne de crête demeure étroite : efficacité ne peut s’affranchir de la légalité, faute de quoi on alimente le cycle de violence ». À ce stade, aucune plainte formelle pour exaction n’a été reçue par l’Inspection générale des forces de sécurité, mais des vérifications internes sont en cours.

Vers une stratégie intégrée de désengagement des jeunes

Le gouvernement, conscient qu’aucune opération coup-de-poing ne saurait suffire à elle seule, prépare un plan triennal de réinsertion centré sur la formation professionnelle, l’accès au micro-crédit et la consolidation de l’offre sportive de proximité. Un groupe interministériel Défense-Jeunesse-Affaires sociales finalise actuellement les paramètres budgétaires, avec un accompagnement technique de la Banque de développement des États d’Afrique centrale.

La Direction générale de la sécurité présidentielle, qui pilote en parallèle un programme pilote de médiation, a déjà identifié cinquante ex-membres de bande prêts à suivre un cursus dans le génie civil, secteur porteur dans les projets d’infrastructures du Plan national de développement. « Neutraliser une menace n’est qu’une étape », observe le chercheur Évariste Obango de l’Université Marien-Ngouabi ; « l’enjeu ultime est de réintégrer ces jeunes dans le contrat social afin de verrouiller la résurgence du phénomène ».

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