Brazzaville : Colloque fiscal et enjeux sécuritaires

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Brazzaville au cœur de la diplomatie fiscale africaine

Du 9 au 12 septembre prochain, Brazzaville élèvera la question fiscale au rang de préoccupation stratégique. La 8ᵉ édition du Colloque international sur la fiscalité, coréalisé par le Master 227 de l’Université Paris-Dauphine et la Direction générale des impôts et des domaines du Congo, réunira une quinzaine de délégations venues d’Afrique centrale et d’au-delà. L’initiative, soutenue par l’Agence française de développement, l’Union européenne et la Banque mondiale, s’inscrit dans une démarche plus large de consolidation de la souveraineté financière des États africains, condition sine qua non d’une politique de défense crédible.

La tenue de ces assises à Brazzaville n’est pas fortuite. Depuis plusieurs années, la République du Congo affiche sa volonté de lier gouvernance économique et sécurité intérieure, consciente que la capacité à lever l’impôt conditionne la modernisation des forces armées, de la Gendarmerie nationale et des services de renseignement. Les travaux ont été placés sous un thème révélateur : « Rôle et place du droit fiscal national : les enjeux de la mobilisation des recettes et de durabilité ».

Ressources extractives et souveraineté budgétaire des États

Premier axe de discussion, l’optimisation des revenus tirés des hydrocarbures et des mines résonne particulièrement dans le Golfe de Guinée. La fluctuation des cours internationaux impose aux États producteurs de fixer des cadres fiscaux stables, transparents et adaptés aux impératifs de développement sécuritaire. Au-delà du débat technique, il s’agit d’assurer que chaque baril et chaque tonne de minerai contribuent à l’entretien du patrimoine de défense, qu’il s’agisse de patrouilleurs côtiers ou de moyens ISR pour surveiller les zones économiques exclusives.

Les experts attendus à Brazzaville mettront en exergue des modèles de contrats intelligents, destinés à réduire l’asymétrie d’information entre compagnies transnationales et administrations fiscales. Plusieurs pays souhaitent s’inspirer de la réforme engagée par le Congo-Brazzaville, qui couple clauses de stabilité fiscale et mécanismes de partage de la rente, garantissant au Trésor national des ressources pérennes capables de financer les équipements terrestres et les plans de maintien en condition opérationnelle.

Traquer l’évasion fiscale pour consolider la sécurité intérieure

Deuxième axe, la lutte contre la délinquance fiscale épouse les préoccupations de sécurité intérieure. Les réseaux d’évasion et de fraude, souvent imbriqués avec la criminalité transnationale, privent les budgets publics de marges précieuses. En réponse, les administrations présentes à Brazzaville dresseront l’inventaire des technologies de data-matching et des techniques d’enquête appliquées à la fraude complexe, allant des paradis fiscaux numériques aux schémas de facturation fictive.

Les représentants de la Police congolaise et de la Gendarmerie partageront leurs retours d’expérience sur la judiciarisation des affaires fiscales sensibles. Les avancées en matière de coopération douanière et d’échanges de renseignements illustrent la convergence entre fiscalité et sécurité : récupérer l’impôt fraudé revient à couper les flux qui irriguent trafics, corruption et financement illicite des groupes armés.

Administration fiscale et crédibilité financière de la défense

Le colloque accorde une place centrale au renforcement institutionnel. Les ateliers consacrés à la « relation de confiance » entre administrations et contributeurs privés proposent un dialogue franc : instaurer la prévisibilité fiscale permet d’élargir l’assiette sans alourdir la pression, donc de dégager des marges pour les budgets de défense sans accroître la dette.

Maxence Bringuier, président de l’Association dauphinoise d’administration fiscale, résume l’enjeu : « Une armée moderne repose d’abord sur la discipline budgétaire. En partageant nos meilleures pratiques, nous offrons aux États africains les conditions financières de leur autonomie stratégique. » Dans un contexte où la soutenabilité de la dette est scrutée par les bailleurs, cette crédibilité budgétaire pèsera dans la négociation des partenariats capacitaires, qu’il s’agisse d’avions de transport, de systèmes de surveillance côtière ou de cyber-défense.

Formation dauphinoise et montée en compétence des cadres africains

Le Master 227 « Administration, gouvernance et droit fiscal » de l’Université Paris-Dauphine ne se limite pas au transfert de savoirs théoriques. Il cultive un réseau dynamique d’anciens étudiants, dont beaucoup occupent aujourd’hui des postes clés au sein des ministères des Finances, de la Défense ou du Contrôle d’État en Afrique centrale. La soirée alumni prévue le 10 septembre scellera cet esprit de corps, essentiel à la circulation de bonnes pratiques.

Cette communauté contribue à la professionnalisation des administrations, préalable à toute stratégie de résilience. Les passerelles ainsi créées facilitent la mise en place d’unités mixtes fiscales-renseignement, capables de cartographier les circuits financiers occultes alimentant la fraude douanière ou la piraterie dans le Golfe de Guinée.

Vers une coopération fiscale renforcée au service de la stabilité régionale

À l’issue de ces quatre journées, les organisateurs espèrent aboutir à une plate-forme de recommandations partagée. Celle-ci devra concilier l’objectif de durabilité environnementale, impératif croissant pour les industries extractives, avec la nécessité de financer des forces de sécurité réactives et technologiquement à jour. La perspective d’une administration fiscale interconnectée à l’échelle CEMAC, capable de mutualiser les bases de données et de mener des audits conjoints, apparaît comme un chantier prioritaire.

Brazzaville signe ainsi une étape supplémentaire dans la diplomatie économique qu’appelle de ses vœux le président Denis Sassou Nguesso : consolider la base fiscale pour projeter la puissance publique, maîtriser les risques et maintenir la paix. La teneur des discussions révélera combien la fiscalité, longtemps cantonnée aux cercles financiers, devient un outil majeur de sécurité collective au service d’un avenir africain plus souverain.

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