Une élection porteuse de perspectives sécuritaires
Réunis à Malabo pour leur septième session extraordinaire, les chefs d’État et de gouvernement de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale ont confié le 7 septembre 2025 les rênes de la Commission à Ezéchiel Nibigira. Derrière le cérémonial diplomatique, l’enjeu premier demeure la consolidation d’un espace stratégique où la sécurité conditionne la prospérité. De l’Angola au Tchad, les menaces asymétriques, la fragilité de certaines transitions politiques et la porosité frontalière mettent à l’épreuve la cohérence régionale. La désignation d’un ancien ministre burundais aguerri aux arcanes multilatérales marque la volonté de dynamiser la réponse collective, sans bousculer les équilibres institutionnels établis.
- Une élection porteuse de perspectives sécuritaires
- Renforcer la coopération militaire régionale
- Libre circulation et contrôle des menaces transfrontalières
- Financement durable des capacités de défense communes
- Synergies entre CEEAC et architecture africaine de paix
- Position stratégique du Congo-Brazzaville dans l’équation
À la faveur de son mandat quinquennal non renouvelable, M. Nibigira s’engage à transformer la CEEAC en catalyseur de stabilité durable. Dans une brève allocution, il a rappelé que « l’intégration n’a de sens que si chaque citoyen se sent protégé au quotidien » – une déclaration qui a trouvé un écho particulier à Brazzaville, sensible aux impératifs de sécurisation des axes fluviaux et routiers entre le Pool et la sous-région.
Renforcer la coopération militaire régionale
Les plans de défense mutuelle de la CEEAC, approuvés dès 2010 mais appliqués de façon inégale, nécessitent un nouvel élan politique. L’expérience de M. Nibigira dans l’East African Community, où existent des forces en alerte conjointe, pourrait inspirer un format plus opérationnel pour l’Afrique centrale. Des officiers congolais soulignent déjà la pertinence d’exercices interarmées réguliers, intégrant médecine opérationnelle, lutte contre les engins explosifs improvisés et sécurisation des aéroports secondaires, afin de réduire la dépendance aux partenaires extra-régionaux.
Le Centre interrégional de coordination de Yaoundé, partenaire technique de la CEEAC pour la sécurité maritime, plaide de son côté pour l’activation d’équipes de réaction rapide fluvio-maritimes. La Marine congolaise, qui modernise sa flottille grâce à un programme mixte État-industrie, verrait dans cette évolution la possibilité de patrouilles conjointes plus fréquentes sur le Kouilou et jusqu’au large de Pointe-Noire.
Libre circulation et contrôle des menaces transfrontalières
La CEEAC a inscrit la libre circulation des personnes et des biens dans ses traités fondateurs, mais sa mise en œuvre reste contrariée par l’activisme des groupes armés transfrontaliers et par les trafics divers. Le nouveau président de la Commission entend accélérer l’harmonisation des procédures douanières tout en dotant les forces de sécurité intérieure d’outils de contrôle automatisés. À Brazzaville, la Direction générale de la surveillance du territoire étudie déjà un dispositif de visas biométriques partagés qui limiterait les faux documents et fluidifierait le commerce légal.
Ces innovations technologiques impliquent une coopération étroite avec les équipes cyber nationales. Le CERT congolais, appuyé par l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information, pourrait devenir l’un des pôles de compétences de la future plateforme numérique régionale, évitant ainsi la duplication des investissements publics.
Financement durable des capacités de défense communes
La question budgétaire reste le talon d’Achille de toute ambition régionale. Les contributions statutaires couvrent à peine cinquante-cinq pour cent des besoins courants de la Commission, laissant peu de marges pour la projection de forces ou l’entretien d’infrastructures critiques. M. Nibigira propose de diversifier les sources de financement en s’appuyant sur des redevances aériennes et portuaires, sur un mécanisme innovant de bons de paix adossés aux marchés obligataires régionaux, ainsi que sur des partenariats public-privé orientés vers la maintenance en condition opérationnelle.
Le Congo-Brazzaville, acteur énergétique majeur du Golfe de Guinée, pourrait capitaliser sur ses recettes pétrolières pour garantir une partie de ces engagements, sous réserve d’une gouvernance transparente. Des économistes rapprochés du ministère congolais des Finances estiment qu’une contribution additionnelle de 0,2 % des exportations d’hydrocarbures suffirait à financer un escadron d’hélicoptères utilitaires partagé entre les États côtiers.
Synergies entre CEEAC et architecture africaine de paix
L’Union africaine a formalisé, avec l’Architecture africaine de paix et de sécurité, un schéma reposant sur cinq forces régionales. La composante Afrique centrale demeure en consolidation. Sous la houlette de M. Nibigira, l’objectif est de clarifier la répartition des tâches entre la brigade régionale de la Force africaine en attente et les unités de la CEEAC déployées dans les missions d’interposition, notamment en République centrafricaine. Une articulation plus fluide des chaînes de commandement offrirait un gain de réactivité en cas de crise, tout en favorisant le partage du renseignement stratégique.
La Direction générale de la documentation et de la sécurité extérieure du Congo avait déjà plaidé pour une plateforme d’échange d’images satellite à bas coût, obtenues auprès de partenaires brésiliens et chinois. La proposition, désormais sur le bureau du nouveau président de la Commission, illustre l’importance de rapprocher doctrines et capacités concrètes.
Position stratégique du Congo-Brazzaville dans l’équation
La République du Congo, État hôte du siège historique de la CEEAC à Brazzaville, occupe une place charnière entre le fleuve Congo et l’Atlantique. Les autorités congolaises voient dans l’arrivée d’Ezéchiel Nibigira l’opportunité de consolider leur leadership discret sur les dossiers sécuritaires sans verser dans une hégémonie perçue comme anxiogène par leurs voisins. Le général de division Biboulou, chef d’état-major général des armées, note que « la stabilité régionale renforce notre propre résilience ; soutenir la Commission, c’est investir dans la paix domestique ».
Au-delà des effets d’annonce, le défi consistera à traduire la solidarité politique en programmes tangibles : modernisation de la navigation aérienne à l’aéroport de Maya-Maya, formation conjointe des unités cynophiles contre les trafics de stupéfiants ou encore mutualisation des stocks stratégiques de carburant pour les opérations humanitaires post-catastrophe. Autant de dossiers sur lesquels la diplomatie congolaise, appuyée par une base industrielle émergente, pourrait se distinguer.
En définitive, l’élection d’Ezéchiel Nibigira ne se réduira pas à une alternance institutionnelle. Elle ouvre une fenêtre d’opportunité pour refonder les mécanismes de défense collective, renforcer la souveraineté numérique et financieriser la sécurité régionale, avec le soutien vigilant mais constructif du Congo-Brazzaville. Les douze prochains mois diront si la promesse d’une intégration sécuritaire aboutie se concrétise enfin dans les casernes autant que dans les chancelleries.