Un parcours forgé par l’école des enfants de troupe
Le colonel Jean Médard Bayiza, né le 6 janvier 1967 à Brazzaville, appartient à cette génération d’officiers pour lesquels l’École des enfants de troupe a servi de matrice intellectuelle et morale. Au cœur de la doctrine de l’établissement, les vertus de discipline, d’abnégation et de loyauté résonnent encore dans les couloirs des casernes congolaises. En retraçant son cursus, les AET rappellent que la formation précoce ne se limite pas à inculquer les rudiments militaires ; elle vise aussi à familiariser l’élève avec la complexité stratégique contemporaine, où l’anticipation logistique vaut souvent victoire sur le terrain. Bayiza illustra, sa vie durant, cette philosophie en plaçant la fonction de soutien opérationnel au même niveau que la manœuvre tactique.
L’hommage national organisé le 2 septembre dernier par l’Association des anciens enfants de troupe (AET), sous la conduite du général Rémy Ayayos Ikounga, a donné la mesure de la reconnaissance institutionnelle. À travers les drapeaux inclinés et les uniformes impeccables, la cérémonie a fait vibrer une mémoire collective qui transcende les générations d’officiers. Pour nombre de jeunes cadets présents, l’exemple de Bayiza constitue une passerelle entre l’exigence académique de l’école et la responsabilité que commande le service des armes.
Du pont des navires aux savoirs stratégiques
Affecté tour à tour à Pointe-Noire, Mossaka puis Brazzaville, Jean Médard Bayiza a d’abord arpenté les ponts des patrouilleurs fluviaux avant de rejoindre les états-majors. Cette alternance constante entre terrain et réflexion a façonné un officier capable de dialoguer aussi bien avec les mécaniciens de coque qu’avec les planificateurs d’état-major. Sa promotion au grade de capitaine de vaisseau, en 2013, a couronné cet équilibre rare.
Sa quête de savoir ne s’est jamais interrompue. En 2014, il obtient le brevet de l’enseignement militaire du second degré à l’École supérieure de guerre de Luanda, institution de référence pour nombre d’états d’Afrique centrale. La portée de ce diplôme dépasse la simple ligne sur un curriculum vitae ; il atteste de la capacité d’un officier à intégrer la dimension politico-stratégique dans l’élaboration d’un concept d’opération. Selon un instructeur angolais présent lors de la remise des parchemins, « Bayiza portait un regard systémique sur les conflits, conscient que la victoire se gagne à l’arrière, dans la maîtrise des flux et la prévoyance des stocks ».
La logistique navale, cœur discret de la défense congolaise
Nommé chef de division des matériels nautiques au Commandement de la logistique des Forces armées congolaises, Bayiza a transformé une fonction administrative en véritable poste d’observation stratégique. Sous son impulsion, l’inventaire des pièces détachées a été numérisé, réduisant les délais d’immobilisation des vedettes de surveillance côtière et fluviale. Plus encore, il a défendu l’idée, aujourd’hui entérinée, d’un recours accru à la maintenance préventive afin d’optimiser la disponibilité technique des plateformes.
L’approche pragmatique du colonel s’inscrivait dans la vision présidentielle énoncée lors des récentes Journées de la Défense : renforcer la capacité de projection rapide sur le fleuve Congo et sur la façade atlantique, atouts majeurs pour la sûreté du trafic commercial et la lutte contre les réseaux criminels transfrontaliers. Les autorités civiles ont salué sa contribution à la défense des intérêts maritimes, cruciaux pour l’essor économique du pays. La qualité de son travail lui valut d’être élevé au rang de chevalier dans l’ordre du Mérite congolais, distinction que l’intéressé accueillit, selon ses proches, avec la modestie coutumière de ceux qui préfèrent l’efficacité du résultat aux éclats de tribune.
L’Association des AET, creuset de la cohésion militaire
La cérémonie funèbre a également rappelé la fonction fédératrice de l’Association des anciens enfants de troupe. Fondée pour perpétuer la solidarité entre promotions, l’AET se révèle, années après années, un outil d’influence douce au service de la défense. Par l’organisation de rencontres inter-générationnelles, elle contribue à la circulation du retour d’expérience, angle mort de bien des armées. L’éloge prononcé par Carl Régis Tsiakaka, membre dirigeant de l’AET, insistait sur ce legs immatériel : « Au-delà de la décoration, Bayiza lègue aux plus jeunes une méthode : préparer le combat avant qu’il ne surgisse, en tenant compte de la topographie, du climat et des stocks. »
Ce maillage informel, porté par des amitiés forgées sous le drapeau, consolide la résilience globale de l’institution militaire. Les autorités du ministère de la Défense nationale l’ont compris ; elles envisagent d’intégrer des cadres de l’AET aux cellules de réflexion sur la modernisation des écoles militaires, afin de conjuguer tradition et innovation.
La symbolique d’un hommage national
Le passage de la dépouille du colonel Bayiza sous l’arche du drapeau a scellé un rituel républicain, synthèse d’histoire et de projection vers l’avenir. En saluant « un officier dont la défense avait besoin sans toujours le savoir », le général Ikounga a souligné l’importance des fonctions de soutien, souvent occultées dans la mémoire collective au profit des faits d’armes spectaculaires.
Pour le pays, cette disparition intervient dans une phase de montée en puissance des capacités navales et fluviales, priorités actées dans le Livre blanc sur la Défense. Les investissements programmés dans les chantiers de maintenance de Pointe-Noire et l’acquisition de moyens de surveillance par drones côtiers s’appuient sur la doctrine logistique dont Bayiza fut l’un des artisans. En inscrivant son nom sur la plaque des héros du service, la République lui confère une dimension pérenne : celle de la référence silencieuse à laquelle les planificateurs de demain pourront se mesurer.
À l’issue de la levée du corps, un officier subalterne a glissé un message sobre : « Nous reprenons la garde, mon colonel. » Cette phrase, saisie dans un murmure, résume l’esprit de continuité qui irrigue l’armée congolaise : le relais se transmet sans rupture, garantissant la permanence de l’État et la sécurité des citoyens.