Congo-Oman : l’émergence d’un pont stratégique

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Un dialogue diplomatique à haute valeur stratégique

La visite de travail conduite le 14 septembre, à Mascate, par Denis Christel Sassou Nguesso a fait plus que constater l’absence de liens diplomatiques formalisés entre Brazzaville et le Sultanat d’Oman ; elle a révélé un potentiel de coopération susceptible de renforcer la posture sécuritaire de la République du Congo. Aux antipodes géographiques l’un de l’autre, les deux États partagent pourtant une même exigence de contrôle de façades maritimes ouvertes sur des axes énergétiques majeurs. Dans le message transmis au Sultan Haïtham Bin Tarik, le Président Denis Sassou Nguesso souligne « la vocation maritime de nos pays et la nécessité de forger une architecture de sécurité inclusive ».

S’y ajoute la dimension économique : Mascate, engagé dans la diversification Vision 2040, recherche des partenaires africains stables, tandis que Brazzaville ambitionne de devenir la porte d’entrée logistique du Golfe de Guinée. Cette convergence crée les conditions d’un dialogue soutenu entre ministères de la défense, états-majors et industriels, comme l’ont convenu Denis Christel Sassou Nguesso et le ministre omanien des Affaires étrangères, Badr Albusaidi.

Maritime : sécuriser routes énergétiques et économie bleue

Le Golfe de Guinée demeure l’épicentre mondial des actes de piraterie, alors que l’océan Indien fait l’objet d’une recrudescence d’incursions asymétriques. La coordination Congo-Oman pourrait donc rapidement se matérialiser par des échanges entre forces navales pour la surveillance des approches et la lutte contre la criminalité organisée. L’expérience omanaise du National Multi-Purpose Maritime Centre, interface temps réel entre marine, garde-côtes et acteurs privés, intéresse particulièrement la Force publique congolaise, actuellement en phase de modernisation de son Centre opérationnel de surveillance côtière.

Une première étape envisagée consiste en des patrouilles conjointes d’observation et des exercices de visite de navires, afin d’accroître l’interopérabilité et de faciliter la collecte de renseignement sur les flux illicites de carburant, d’armes légères et de stupéfiants. Ces manœuvres, adossées à un accord-cadre de coopération, contribueraient à sécuriser les corridors pétroliers qui relient l’Afrique centrale aux terminaux du Moyen-Orient.

Industrie de défense et Maintien en Condition Opérationnelle naval

Au-delà de l’action en mer, Mascate offre un savoir-faire reconnu dans le domaine du maintien en condition opérationnelle (MCO) des patrouilleurs rapides et des radars côtiers de dernière génération. Les arsenaux omaniens, modernisés avec l’appui de partenaires asiatiques et européens, proposent des solutions de revalorisation de plateformes qui répondraient aux impératifs budgétaires congolais. Les discussions à venir portent notamment sur l’intégration, à Pointe-Noire, d’une antenne technique conjointe capable d’assurer la maintenance des moteurs MTU et des systèmes de navigation Thales déjà en dotation.

L’enjeu est double : réduire le taux d’indisponibilité de la flotte congolaise tout en favorisant le transfert de compétences vers les techniciens locaux. À moyen terme, la perspective d’une ligne d’assemblage de vedettes fluviales dans la zone économique spéciale de Maloukou Bakongo pourrait également bénéficier d’un apport capital-technologique et d’un débouché client dans l’océan Indien, créant ainsi un pont industriel entre les deux rives.

Renseignement et lutte contre les réseaux transnationaux

La sécurisation des flux ne peut être dissociée d’une coopération accrue en matière de renseignement. Le Sultanat, situé à la charnière des routes entre l’Asie méridionale et le Golfe arabique, dispose d’une capacité éprouvée de monitoring des trafics. L’Agence congolaise d’Information et de Sécurité (ACIS) voit dans ce partenariat l’opportunité de perfectionner ses mécanismes de fusion des données issues de son embryonnaire programme ISR drone-satellite.

Des sessions de formation croisées sont déjà envisagées à Muscat, portant sur l’analyse d’imagerie, le chiffrement quantique léger et la cyber-détection de cargaisons suspectes. Selon un officier supérieur de l’état-major congolais, « l’alliance avec Oman complétera les coopérations traditionnelles en élargissant notre angle de veille à l’ensemble de la grande route maritime Est-Ouest ». Un partage d’alertes en temps réel renforcerait, par ricochet, la résilience de la chaîne d’approvisionnement nationale en hydrocarbures raffinés.

Perspectives régionales et diplomatie de défense

De Brazzaville au Caire, en passant par Ryad, la diplomatie de défense congolaise s’affirme comme une plateforme de dialogue Sud-Sud. L’ouverture d’une ambassade à Mascate, évoquée par les deux ministres, offrirait un relai permanent pour la CEMAC dans la péninsule Arabique. Dans le même esprit, Oman pourrait soutenir les initiatives congolaises de maintien de la paix, forte de son expérience logistique au sein de la coalition de lutte contre la piraterie au large de la Somalie.

Le calendrier, désormais, repose sur la signature d’un accord-cadre avant la fin du premier trimestre prochain. Celui-ci fixera les priorités : sécurité maritime, soutien industriel, partage de renseignement et formation des forces. Avec ce nouvel axe, la République du Congo consolide son ouverture contrôlée et affirme sa vision d’une défense proactive, connectée à la fois aux dynamiques atlantiques et indo-océaniques.

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